Le
roman de formation (Bildungsroman)
est un genre littéraire romanesque né en Allemagne au XVIIIe siècle. Le plus
souvent ordonné chronologiquement et étalant la narration sur plusieurs années,
il relate l’évolution d’un jeune héros qui est amené, à l'occasion de
rencontres successives et de péripéties diverses, à acquérir une expérience et
à « former » sa personnalité, sur le plan sentimental, social,
intellectuel ou culturel. Au bout de son parcours bien souvent fait de voyages,
le protagoniste parvient soit à un accomplissement, soit au contraire à une
désillusion qu'accompagne la perte d'un idéal. Ce cheminement, couramment
présenté comme le passage à l’âge adulte, lui permet de trouver sa vocation et
sa place dans le monde, en devenant une personne accomplie et cultivée.
À
l’intérieur du roman de formation se laissent distinguer deux
sous-catégories : le roman d’initiation et le roman d’apprentissage. Le
premier reproduit les rites religieux d’initiation, le voyage, les épreuves et
la révélation ultime[1],
tandis que le deuxième implique une initiation à l’amour et au monde social.
Bien
qu'il n'en soit pas l'inventeur, c'est Goethe qui, avec Les Années d'apprentissage de Wilhelm Meister (1795-1796), illustre
particulièrement le roman de formation. Mais l’idée d’un jeune homme faisant
son éducation est beaucoup plus ancienne. Au Moyen Âge, dans le roman de
chevalerie, les héros devaient subir des épreuves et surmonter des obstacles
pour prouver leur valeur et entrer dans la société.
Le
mot allemand Bildung renvoie à des
notions aussi proches et variées que construction, modelage, formation,
éducation et culture (comme somme individuelle d’expériences et de
connaissances). À ce sujet, Florence Bancaud-Maenen affirme que ce type de
récit « n’est véritablement consacré comme genre que grâce à la critique
allemande et à l’importance qu’y revêt la notion de Bildung. Originellement associée à la création divine et à l’image
de Dieu, elle suppose, dans les confessions et autobiographies piétistes qui
foisonnent au dix-huitième siècle, que l’homme peut s’amender en se conformant
au plan divin. La tradition humaniste opère ensuite une sécularisation de ce
concept théologique : la notion s’individualise, s’intériorise et devient
synonyme d’éducation de soi, de développement »[2].
Voici
une des nombreuses définitions résumant les particularités du genre :
« Malgré de nombreuses variations, ces textes racontent le parcours d’un
jeune homme qui parvient à acquérir une expérience et une connaissance du
monde, accédant à une réussite sociale et personnelle, même si celle-ci n’est
pas durable ». On l’aura compris, le roman de
formation représente un genre masculin par excellence. En effet, dans la
plupart de ces romans, les femmes apparaissent uniquement à titre de
« personnages tutélaires »[4]
maternels ou diaboliques qui initient le héros à l’amour ou lui enseignent les
codes de la société. La seule exception notoire concerne les romans historiques
consacrés à la formation des reines. D’autres exceptions, trop peu nombreuses,
trop courtes, fragmentaires ou inachevées, ressemblent aux esquisses et bien
souvent s’arrêtant au seuil de l’adolescence (L’enfance de Luvers de Pasternak ou Nétotchka Nezvanova de Dostoïevski, pour ne citer que des romans
russes).
Selon
les règles du genre, la jeune fille, bien que confinée à la sphère de l’intime,
est d’emblée exclue de toute quête spirituelle à laquelle la tradition du roman
de formation associe l’analyse psychologique, religieuse, philosophique ou
sociale. Sans surprise, c’est l’amour qui devient l’unique source de ses émois
juvéniles. Quant aux romans picaresques mettant en scène des héros moins
complexes, leurs héroïnes sont bien souvent obligées de se travestir afin de
compléter leur éducation et mieux cerner les hommes (c’est le cas de Madeleine
de Maupin, l’héroïne du premier roman de Théophile Gautier).
Dans
un tout autre style, les romans de Jane Austen ou de Charlotte Brontë relatent
l’éducation du genre très particulier qui s'achève avec le mariage de
l’héroïne. Même lorsque l’histoire s’inscrit dans un large contexte social et
historique, comme Au bonheur des dames
de Zola, le mariage avec son patron représente le comble des aspirations de la
jeune apprentie. D’autres romans, comme la série des Claudine de Colette, se concentrent principalement sur
l’apprentissage de la sensualité par une ingénue, restant fidèles à leur
leitmotiv : la formation à l’amour représente l’expérience cruciale sinon
unique dans la vie de la jeune femme.
[1] Cf. Pierre Aurégan,
Le roman d’apprentissage au
dix-neuvième siècle, Nathan Balises, 1997, p. 9-11.
[2] Florence Bancaud-Maenen, Le roman de formation au dix-huitième siècle en Europe, Nathan,
1998, p. 40.
[4] Marie-Claude Demay, Denis Pernot, Le roman d’apprentissage en France au XIXe siècle, Ellipses, 1995,
p. 94.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire