mercredi 21 décembre 2016

L'esthétique de Noël


 
Lorsqu’on les interroge sur l’esthétique de Noël, les moteurs de recherche nous renvoient allègrement vers les salons de beauté. En effet, comme l’inévitable concours Miss France, le style Noël est un mélange de kitsch et de glamour. Le mariage des deux registres artistiques et publicitaires apparaît nettement dans les suggestions de cadeaux, en particularité des livres. Cette période festive tant attendue est propice aux ouvrages qui font consensus et ne heurtent aucune sensibilité : de beaux livres sur papier glacé destinés à trôner sur la table basse ou dans la bibliothèque plutôt que d’être lus.
 
 

Car l’importance du visuel et l’insignifiance du contenu font partie de la magie de Noël. Ayant pour vocation de vendre du rêve, elle est indissociable de l'industrie de consommation de masse. Issue en grande partie de l’imagerie de l’enfance, elle réunit ainsi, sous des traits triviaux et populaires, le miraculeux et le merveilleux, les éléments du kitsch religieux (cloches, crèches, bougies) et l’univers des contes de fées (la tournée du Père Noël). En même temps, comme l’a montré la récente « fête du pull moche », le kitsch est tout à fait compatible avec le second degré.

Au premier regard, le kitsch et le glamour n’ont pas grand-chose en commun, le premier étant marqué par le mauvais goût et la médiocrité assumée, le deuxième par l’élégance, la distinction, le souci de qualité, une forme de sophistication et un certain raffinement. L’horreur de la vulgarité, la mesure et maitrise dans l’exécution inscrivent ce style intemporel dans un paradigme néoclassique.


Mais il rejoint le kitsch le plus clinquant dans le culte de la tradition et une adhésion conformiste aux valeurs sûres dont de nombreux stéréotypes, conventions et lieux communs. Situés à la limite de l’art et de l’art de vivre, appelés à toucher le grand public, le kitsch et le glamour se montrent particulièrement intrusifs voire incontournables, surtout à certaines périodes de l’année.

Et bien sûr ils partagent aussi l’esprit du factice, le culte des apparences et l’art de la retouche (l’exemple du Studio Harcourt et celui de Pierre et Gilles font partie des plus cités). La célèbre définition du kitsch par Milan Kundera met en lumière cette recherche du convenable : « Le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde ; au sens littéral comme au sens figuré : le kitsch exclut de son champ de vision tout ce que l'existence humaine a d'essentiellement inacceptable. »
 

De ce point de vue, l’esthétique de Noël dans sa version idyllique ou iconique s’apparente à un mythe fondateur : un mensonge justifié par la pratique sociale existante et les valeurs qui y sont ancrées.

dimanche 11 décembre 2016

Un conte à rebours


 
 
Parmi les calendriers de l’Avent les plus osés et les plus surprenants, ceux qui vont le plus loin dans la transgression des règles du genre, voici celui lancé par Europol pour aider à la capture des criminels européens. Chaque jour, jusqu’au 24 décembre, il publie le nom d’un fugitif, connu pour avoir commis des meurtres, des enlèvements ou des actes de terrorisme. Une initiative qui semble rompre avec « l’esprit de Noël » cher à Charles Dickens. Car traditionnellement, la fête préférée des enfants apparaît comme l’incarnation de l’amour, du partage, de l’harmonie et de l’innocence, associée à une réunion familiale à l’intérieur d’une Maison. Elle peut être considérée comme le modèle du « chronotope idyllique » décrit par Michaïl Bakhtine. Le sapin décoré, la table dressée, la lumière des bougies et la chaleur de la cheminée évoquent une ambiance à la fois festive et décontractée, une existence à l’abri des malheurs et des catastrophes, pauvre en événements mais riche en rites et en émotions. L’idylle, c’est le bonheur du foyer, simple et durable, c’est le triomphe de l’autochtone et du rituel qui proscrit l’étranger et l’imprévu, c’est un micromonde limité dans l’espace qui se suffit à lui-même. Un petit foyer lumineux au milieu d’un univers froid et hostile, un cocon, un havre de paix qui se révèle finalement aussi illusoire et éphémère qu’un conte de Noël.