mercredi 30 novembre 2016

La société civile en Russie


 

 Le 24 novembre, en coopération avec Amnesty International France, le Forum de la société civile UE-Russie a organisé un événement aux côtés de cinq activistes russes majeurs :

Elena Belokourova, membre du comité de direction du Forum de la société civile UE-Russie et directrice de l’Echange russo-allemand de Saint-Pétersbourg ; Iouri Djibladze, président du Centre pour le développement de la démocratie et des droits de l’Homme; Andreï Kalikh, journaliste russe indépendant, activiste anti-corruption, coordinateur du groupe de travail d’experts du FSC consacré à la “Lutte contre la corruption transfrontalière”; Konstantin Troïtski, analyste au sein du Comité d’assistance civique et Natalia Ioudina, analyste principale, SOVA (Centre pour l’information et l’analyse).

 Ils ont témoigné des difficultés auxquelles sont confrontées leurs organisations respectives depuis les dernières modifications législatives en Russie. Début septembre 2016, plus d’une centaine d’organisations avaient été inscrites au registre des « agents de l’étranger » et sept organisations avaient été déclarées indésirables. Plusieurs ONG ont perdu leurs sources de financement et ont dû cesser leurs activités. Il s'agit des organisations travaillant sur tout un éventail de sujets, notamment la discrimination, la protection des droits des femmes et des personnes LGBTI, la préservation de la mémoire historiques, les recherches universitaires, la réforme de la justice pénale et du système carcéral, les droits des consommateurs et les questions liées à l'environnement. D’autre part, l’année 2016 a vu l’adoption de plusieurs textes de loi qui limitent encore les droits à la liberté de l’expression, d’association et de réunion dans le cadre de « la lutte contre l’extrémisme ».

Dans ce contexte, la récente mise sous scellé du bureau d'Amnesty International à Moscou a provoqué de nombreux questionnements. Fidèle à sa vocation de promouvoir et de faire respecter les droits de l’Homme dans le monde entier, l'ONG appelle les autorités russes à réviser la loi relative à la lutte contre l’extrémisme à la lumière des normes internationales et à prendre toutes les mesures nécessaires pour que la loi relative aux « agents de l’étrangers » soi abrogée et que les ONG en Russie soient en mesure de faire leur travail sans entrave, harcèlement, stigmatisation ni représailles.
 
 

jeudi 3 novembre 2016

L'appel de Konstantin Raïkine


Kostantin Raïkine
 
 
La censure existe-t-elle toujours en Russie ? L’éternel débat a cette fois été relancé par l’acteur Konstantin Raïkine, directeur de la troupe Satiricon et fils du célèbre acteur de comédie et humoriste Arkadi Raïkine. Dans son discours prononcé le 24 octobre au congrès des artistes de théâtre et consacré à la mémoire de son père, il a critiqué l’intrusion de l’Etat et des « groupes des citoyens offensés » dans la vie culturelle du pays. D’après Raïkine, ces groupes politiques pro-Kremlin qui annulent les spectacles et déversent de l’urine sur les photos jugées obscènes brandissent des valeurs telles que « Patrie », « Spiritualité », « Morale», etc. Mais en réalité, ces formes de pression marqueraient le retour de la censure, la « malédiction et la honte séculaire de notre pays » dans ses formes les plus odieuses propres à l’époque stalinienne. L’acteur et réalisateur qui, dans les années 1980, avait été le premier à faire connaître au grand public les poèmes d’Ossip Mandelstam en version non censurée a fait référence à trois événements culturels devenus la cible des attaques récentes des intégristes orthodoxes : la représentation de Tannhäuser à l’opéra de Novossibirsk, l’exposition du photographe Jock Sturges à Moscou présentant les enfants naturistes et l’opéra-rock Jesus Christ Superstar  interdite à la représentation à Omsk. Inquiet et outré par la multiplication de tels incidents dangereux pour la liberté d’expression, Raïkine, dont le spectacle Toutes les nuances du bleu avait déjà fait l’objet d’enquêtes concernant la « propagande homosexuelle devant mineurs », a appelé ses confrères à la résistance mais aussi à la solidarité face à la barbarie.

 

Dans sa réponse à Raïkine, le porte-parole de Kremli Dmitri Peskov a rejeté les accusations de censure en admettant cependant l’existence des « commandes d’Etat » dans le domaine culturel. « Quand l’Etat finance une œuvre d’art, il a le droit de faire part de ses exigences », a déclaré Peskov.

 
Andreï Zviaguintsev

Parmi les nombreux artistes, journalistes et écrivains ayant soutenu Kostantin Raïkine, on peut citer le nom du cinéaste Andreï Zviaguintsev. Le réalisateur de Léviathan a dénoncé la corruption du pouvoir et rappelé les origines de l’argent public qui sert à financer les « commandes d’Etat »,

 

Vladimir Pozner a quant à lui épinglé ces groupes conservateurs et nationalistes qui « pour une raison inconnue » se font passer pour la voix du peuple. Cependant, celle-ci n’est pas toujours porteuse de vérité. Pire, très souvent encore, elle est manipulée par le pouvoir. Et surtout, selon Pozner, le jugement du « peuple » ne vaut pas grand-chose en matière d’art : il suffit de se rappeler les attaques dirigées contre Prokofiev, Chostakovitch, Pasternak et Akhmatova. Face à ces tristes précédents, le journaliste essaie d’imaginer ce qui pourrait arriver si les barbares orthodoxes criant au « blasphèmes » se retrouvaient au Louvre ou à la Galerie des Offices  devant des statues dénudées des hommes, des femmes et des enfants…

 
Evgeueni Mironov

Son inquiétude est partagée par l’acteur Evgueni Mironov : « Que faire quand des ignorants agressifs envahissent le monde des professionnels des arts, en essayant de discréditer les notions d’artiste, d’art, de liberté ? Comment peut-on expliquer que Danaé n’est pas de la pornographie, que Le cheval rouge au bain n’est pas une propagande de l’homosexualité, que Lolita n’est pas un manifeste de la pédophilie ? » demande l’acteur qui suggère la création d’ unions professionnelles capables de centraliser la défense des artistes.