mercredi 21 décembre 2016

L'esthétique de Noël


 
Lorsqu’on les interroge sur l’esthétique de Noël, les moteurs de recherche nous renvoient allègrement vers les salons de beauté. En effet, comme l’inévitable concours Miss France, le style Noël est un mélange de kitsch et de glamour. Le mariage des deux registres artistiques et publicitaires apparaît nettement dans les suggestions de cadeaux, en particularité des livres. Cette période festive tant attendue est propice aux ouvrages qui font consensus et ne heurtent aucune sensibilité : de beaux livres sur papier glacé destinés à trôner sur la table basse ou dans la bibliothèque plutôt que d’être lus.
 
 

Car l’importance du visuel et l’insignifiance du contenu font partie de la magie de Noël. Ayant pour vocation de vendre du rêve, elle est indissociable de l'industrie de consommation de masse. Issue en grande partie de l’imagerie de l’enfance, elle réunit ainsi, sous des traits triviaux et populaires, le miraculeux et le merveilleux, les éléments du kitsch religieux (cloches, crèches, bougies) et l’univers des contes de fées (la tournée du Père Noël). En même temps, comme l’a montré la récente « fête du pull moche », le kitsch est tout à fait compatible avec le second degré.

Au premier regard, le kitsch et le glamour n’ont pas grand-chose en commun, le premier étant marqué par le mauvais goût et la médiocrité assumée, le deuxième par l’élégance, la distinction, le souci de qualité, une forme de sophistication et un certain raffinement. L’horreur de la vulgarité, la mesure et maitrise dans l’exécution inscrivent ce style intemporel dans un paradigme néoclassique.


Mais il rejoint le kitsch le plus clinquant dans le culte de la tradition et une adhésion conformiste aux valeurs sûres dont de nombreux stéréotypes, conventions et lieux communs. Situés à la limite de l’art et de l’art de vivre, appelés à toucher le grand public, le kitsch et le glamour se montrent particulièrement intrusifs voire incontournables, surtout à certaines périodes de l’année.

Et bien sûr ils partagent aussi l’esprit du factice, le culte des apparences et l’art de la retouche (l’exemple du Studio Harcourt et celui de Pierre et Gilles font partie des plus cités). La célèbre définition du kitsch par Milan Kundera met en lumière cette recherche du convenable : « Le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde ; au sens littéral comme au sens figuré : le kitsch exclut de son champ de vision tout ce que l'existence humaine a d'essentiellement inacceptable. »
 

De ce point de vue, l’esthétique de Noël dans sa version idyllique ou iconique s’apparente à un mythe fondateur : un mensonge justifié par la pratique sociale existante et les valeurs qui y sont ancrées.

dimanche 11 décembre 2016

Un conte à rebours


 
 
Parmi les calendriers de l’Avent les plus osés et les plus surprenants, ceux qui vont le plus loin dans la transgression des règles du genre, voici celui lancé par Europol pour aider à la capture des criminels européens. Chaque jour, jusqu’au 24 décembre, il publie le nom d’un fugitif, connu pour avoir commis des meurtres, des enlèvements ou des actes de terrorisme. Une initiative qui semble rompre avec « l’esprit de Noël » cher à Charles Dickens. Car traditionnellement, la fête préférée des enfants apparaît comme l’incarnation de l’amour, du partage, de l’harmonie et de l’innocence, associée à une réunion familiale à l’intérieur d’une Maison. Elle peut être considérée comme le modèle du « chronotope idyllique » décrit par Michaïl Bakhtine. Le sapin décoré, la table dressée, la lumière des bougies et la chaleur de la cheminée évoquent une ambiance à la fois festive et décontractée, une existence à l’abri des malheurs et des catastrophes, pauvre en événements mais riche en rites et en émotions. L’idylle, c’est le bonheur du foyer, simple et durable, c’est le triomphe de l’autochtone et du rituel qui proscrit l’étranger et l’imprévu, c’est un micromonde limité dans l’espace qui se suffit à lui-même. Un petit foyer lumineux au milieu d’un univers froid et hostile, un cocon, un havre de paix qui se révèle finalement aussi illusoire et éphémère qu’un conte de Noël.

mercredi 30 novembre 2016

La société civile en Russie


 

 Le 24 novembre, en coopération avec Amnesty International France, le Forum de la société civile UE-Russie a organisé un événement aux côtés de cinq activistes russes majeurs :

Elena Belokourova, membre du comité de direction du Forum de la société civile UE-Russie et directrice de l’Echange russo-allemand de Saint-Pétersbourg ; Iouri Djibladze, président du Centre pour le développement de la démocratie et des droits de l’Homme; Andreï Kalikh, journaliste russe indépendant, activiste anti-corruption, coordinateur du groupe de travail d’experts du FSC consacré à la “Lutte contre la corruption transfrontalière”; Konstantin Troïtski, analyste au sein du Comité d’assistance civique et Natalia Ioudina, analyste principale, SOVA (Centre pour l’information et l’analyse).

 Ils ont témoigné des difficultés auxquelles sont confrontées leurs organisations respectives depuis les dernières modifications législatives en Russie. Début septembre 2016, plus d’une centaine d’organisations avaient été inscrites au registre des « agents de l’étranger » et sept organisations avaient été déclarées indésirables. Plusieurs ONG ont perdu leurs sources de financement et ont dû cesser leurs activités. Il s'agit des organisations travaillant sur tout un éventail de sujets, notamment la discrimination, la protection des droits des femmes et des personnes LGBTI, la préservation de la mémoire historiques, les recherches universitaires, la réforme de la justice pénale et du système carcéral, les droits des consommateurs et les questions liées à l'environnement. D’autre part, l’année 2016 a vu l’adoption de plusieurs textes de loi qui limitent encore les droits à la liberté de l’expression, d’association et de réunion dans le cadre de « la lutte contre l’extrémisme ».

Dans ce contexte, la récente mise sous scellé du bureau d'Amnesty International à Moscou a provoqué de nombreux questionnements. Fidèle à sa vocation de promouvoir et de faire respecter les droits de l’Homme dans le monde entier, l'ONG appelle les autorités russes à réviser la loi relative à la lutte contre l’extrémisme à la lumière des normes internationales et à prendre toutes les mesures nécessaires pour que la loi relative aux « agents de l’étrangers » soi abrogée et que les ONG en Russie soient en mesure de faire leur travail sans entrave, harcèlement, stigmatisation ni représailles.
 
 

jeudi 3 novembre 2016

L'appel de Konstantin Raïkine


Kostantin Raïkine
 
 
La censure existe-t-elle toujours en Russie ? L’éternel débat a cette fois été relancé par l’acteur Konstantin Raïkine, directeur de la troupe Satiricon et fils du célèbre acteur de comédie et humoriste Arkadi Raïkine. Dans son discours prononcé le 24 octobre au congrès des artistes de théâtre et consacré à la mémoire de son père, il a critiqué l’intrusion de l’Etat et des « groupes des citoyens offensés » dans la vie culturelle du pays. D’après Raïkine, ces groupes politiques pro-Kremlin qui annulent les spectacles et déversent de l’urine sur les photos jugées obscènes brandissent des valeurs telles que « Patrie », « Spiritualité », « Morale», etc. Mais en réalité, ces formes de pression marqueraient le retour de la censure, la « malédiction et la honte séculaire de notre pays » dans ses formes les plus odieuses propres à l’époque stalinienne. L’acteur et réalisateur qui, dans les années 1980, avait été le premier à faire connaître au grand public les poèmes d’Ossip Mandelstam en version non censurée a fait référence à trois événements culturels devenus la cible des attaques récentes des intégristes orthodoxes : la représentation de Tannhäuser à l’opéra de Novossibirsk, l’exposition du photographe Jock Sturges à Moscou présentant les enfants naturistes et l’opéra-rock Jesus Christ Superstar  interdite à la représentation à Omsk. Inquiet et outré par la multiplication de tels incidents dangereux pour la liberté d’expression, Raïkine, dont le spectacle Toutes les nuances du bleu avait déjà fait l’objet d’enquêtes concernant la « propagande homosexuelle devant mineurs », a appelé ses confrères à la résistance mais aussi à la solidarité face à la barbarie.

 

Dans sa réponse à Raïkine, le porte-parole de Kremli Dmitri Peskov a rejeté les accusations de censure en admettant cependant l’existence des « commandes d’Etat » dans le domaine culturel. « Quand l’Etat finance une œuvre d’art, il a le droit de faire part de ses exigences », a déclaré Peskov.

 
Andreï Zviaguintsev

Parmi les nombreux artistes, journalistes et écrivains ayant soutenu Kostantin Raïkine, on peut citer le nom du cinéaste Andreï Zviaguintsev. Le réalisateur de Léviathan a dénoncé la corruption du pouvoir et rappelé les origines de l’argent public qui sert à financer les « commandes d’Etat »,

 

Vladimir Pozner a quant à lui épinglé ces groupes conservateurs et nationalistes qui « pour une raison inconnue » se font passer pour la voix du peuple. Cependant, celle-ci n’est pas toujours porteuse de vérité. Pire, très souvent encore, elle est manipulée par le pouvoir. Et surtout, selon Pozner, le jugement du « peuple » ne vaut pas grand-chose en matière d’art : il suffit de se rappeler les attaques dirigées contre Prokofiev, Chostakovitch, Pasternak et Akhmatova. Face à ces tristes précédents, le journaliste essaie d’imaginer ce qui pourrait arriver si les barbares orthodoxes criant au « blasphèmes » se retrouvaient au Louvre ou à la Galerie des Offices  devant des statues dénudées des hommes, des femmes et des enfants…

 
Evgeueni Mironov

Son inquiétude est partagée par l’acteur Evgueni Mironov : « Que faire quand des ignorants agressifs envahissent le monde des professionnels des arts, en essayant de discréditer les notions d’artiste, d’art, de liberté ? Comment peut-on expliquer que Danaé n’est pas de la pornographie, que Le cheval rouge au bain n’est pas une propagande de l’homosexualité, que Lolita n’est pas un manifeste de la pédophilie ? » demande l’acteur qui suggère la création d’ unions professionnelles capables de centraliser la défense des artistes.

dimanche 2 octobre 2016

Hommage à Oscar Wilde au Petit Palais


 
Son tombeau au cimetière du Père-Lachaise, surmonté d’une sculpture de Jacob Epstein, garde de nombreuses traces du rouge à lèvres. Il aurait dit, en buvant une dernière coupe de champagne : "Je meurs, comme j’ai vécu, largement au-dessus de mes moyens".
 
Cette année, le Petit Palais consacre une exposition à Oscar Wilde, ce dandy, esthète et francophile mort à Paris dans le dénuement en 1900. Intitulée « Oscar Wilde, l’impertinent absolu », elle retrace sa vie et son œuvre à travers un ensemble de plus de 200 pièces rassemblant documents exceptionnels, inédits pour certains, manuscrits, photographies, dessins, caricatures, affaires personnelles, et tableaux venus d’Irlande, d’Angleterre, des Etats-Unis, du Canada, d’Italie, mais aussi  des musées français.
 
L’exposition regroupe un choix de tableaux préraphaélites montrés à la Grosvenor Gallery de Londres en 1877 et 1879 et qui suscitèrent de nombreux commentaires de Wilde, critique d’art. Le parcours est également ponctué d’extraits de films mémorables, d’interviews de Merlin Holland, petit-fils d’Oscar Wilde, et de Robert Badinter, auteur de la pièce C.3.3. consacrée au procès et à l’incarcération d’Oscar Wilde, et d’enregistrements de textes lus par l’acteur britannique Rupert Everett. C.3.3 était le matricule en prison d’Oscar Wilde, condamné à la peine maximale de 2 ans avec travaux forcés, plongé dans le silence et la solitude des prisons victorienne, pour une relation avec Lord Alfred Douglas de Queensberry.
 
Des portraits de parents, d’amis et de proches (Constance, sa femme, Lord Alfred Douglas, son amant) permettent d’évoquer le cercle des intimes, sa vie personnelle et la vie du grand écrivain irlandais, complétés par plusieurs dessins et aquarelles réalisés par Oscar Wilde lui-même. L’exposition comporte également des manuscrits de ses œuvres les plus célèbres comme Le Portrait de Dorian Gray ou L’Importance d’être constant. On y retrouvera aussi d’inoubliables aphorismes qui  s’inscrivent parfaitement dans le genre des provocitations.
 
"Tout art est parfaitement inutile."

"Dire des choses belles et fausses est le véritable but de l’art."

"S’aimer soi-même c’est se lancer dans une belle histoire d’amour qui durera toute sa vie."

"Lorsque les dieux veulent nous punir, ils exaucent nos prières."
 
 
 
 

lundi 5 septembre 2016

La fête du bikini


 
 
A l’heure où la polémique sur le burkini prend une nouvelle ampleur, sous les auspices de la campagne électorale, il serait intéressant de se remémorer l’histoire du bikini, cette invention française qui a fêté ses 70 ans le 5 juillet dernier. Le maillot de bain fétiche a même eu droit à sa propre exposition dans la galerie Joseph-Froissart, en collaboration avec la marque Réard.

Les débuts de ce sulfureux maillot fait de deux triangles de tissu et dévoilant audacieusement le nombril ont pourtant été difficiles, même si, soucieux de cultiver sa légende, son créateur a tout fait pour exagérer le scandale.  Rejeté par le Vatican comme un « péché », le bikini a été proscrit sur de nombreuses plages européennes. Ainsi, en 1949  il est interdit en Italie, en Belgique, en Espagne et en France où les préfectures le prohibent sur la côte Atlantique mais l’autorisent sur la Méditerranée. En Espagne, le bikini a été autorisé à partir de 1952, grâce à un décret signé par Pedro Zaragoza, le maire de Benidorm, qui a su convaincre Franco de l’importance du deux pièces pour le développement du tourisme international.

 


Cependant, ce vêtement était déjà connu depuis l'Antiquité : à partir des années 1920, les archéologues ont mis au jour, dans la villa romaine du Casale en Sicile, des mosaïques représentant des femmes jouant en bikini.

 

 En 1932, le couturier parisien Jacques Heim avait lancé « Atome », un maillot de bain deux pièces. Ce maillot ressemblait à un short découvrant le ventre mais cachant le nombril en conformité avec le code de censure hollywoodien. Heim appela « atome » ce qu’il présentait comme « le plus petit maillot de bain ».

 


Le bikini quant à lui est inventé par le designer Louis Réard. N’ayant pas trouvé de modèle pour porter sa création, il embauche en tant que mannequin Micheline Bernardini, une danseuse nue du Casino de Paris. Le bikini est  officiellement présenté le 5 juillet 1946 lors des traditionnelles Fêtes de l’Eau à la piscine Molitor. Réard aurait choisi le nom de « Bikini » en référence à l'atoll du même nom aux Îles Marshall, sur lequel, cinq jours auparavant, a eu lieu un essai nucléaire. Il espère que l'effet de mode de sa création sera comparable à celui de cette explosion faisant la une de la presse.

Une bataille des slogans s'engage alors en 1946 entre Réard et son concurrent Heim :

  • « Atome, le plus petit maillot de bain du monde »
  • « Le Bikini, le maillot de bain plus petit que le plus petit maillot de bain du monde »
  • « Le Bikini, la première bombe an-atomique ! »

La popularité grandissante du bikini est portée par le cinéma. Il apparaît dans de nombreux films comme How to Stuff a Wild Bikini avec Annette Funicello, ou Un million d’années avant J.C. avec Raquel Welch. Brigitte Bardot le porte pour la première fois sur la plage du Carlton lors du Festival de Cannes. Mais c’est Ursula Andress qui lance définitivement le phénomène en s’affichant en bikini dans le film James Bond 007 contre Dr. No en 1962. Depuis ce jour, le petit maillot a poursuivi sa conquête des plages du monde qui y ont succombé – en grande majorité.

lundi 25 juillet 2016

ParisBerlin : tour du rire franco-allemand


 
 
Le dernier numéro du magazine franco-allemand ParisBerlin (114, Juillet-Août 2016) consacre un dossier thématique au rire dans tous ses éclats. « Peut-on rire de tout ? » demande le journaliste Marco Wolter, en évoquant le poème satirique de l’humoriste Jan Böhmermann sur le président turc devenu une affaire d’Etat en Allemagne. En montrant les limites réelles de la liberté d’expression, cet incident diplomatique a remis en question l’affirmation de l’écrivain Kurt Tucholsky selon laquelle la satire à tous les droits.

 

Le magazine s’empare du sujet pour interviewer Plantu, le légendaire caricaturiste du Monde, sur l’évolution de l’humour après l’attentat de Charlie Hebdo, mais aussi sur son recueil de dessins  Drôle de peuple (2013), une leçon de « germanitude » aussi divertissante qu’intelligente. Son confrère allemand Klaus Stuttmann appartient à la même génération et travaille pour le quotidien berlinois Tagesspiegel, avec une nette préférence pour les dessins politiques visant la chancelière en personne, mais aussi ses opposants. Comme son ami Plantu, il fait partie de l’association « Cartooning for peace » qui défend la liberté d’expression et condamne la censure.

 

Impossible de parler de l’humour allemand sans évoquer Loriot dont les sketchs et les dessins ont traversé les générations. Quant à ses expressions marquées par l’absurde, elles sont passées dans le langage courant. Ce n’est pas par hasard qu’à sa mort en 2000, la chancelière Angela Merkel a salué l’homme qui a permis de mieux cerner « l’essence des Allemands ».

 

Une autre institution outre-Rhin, le magazine satirique Titanic aborde les questions d’actualité, sans reculer devant la critique des religions. En revanche, les attaques frontales contre le chef d’Etat en exercice sur une chaine publique seraient impensables en Allemagne, affirme la journaliste Katja Petrovic. Mais le cabaret politique y a une longue tradition. L’un des grands succès de cette saison théâtrale s’intitule Wohin mit der Mutti ? (Où caser maman ?). C’est l’histoire d’un couple moyen allemand qui devra héberger incognito la chancelière. Rythmé par des chansons, le spectacle se joue presque  tous les soirs à guichets fermés dans l’un des plus grands Kabaretts du pays, die Distel (le chardon), qui reçoit  100 000 spectateurs par an. Inspiré des cabarets français, comme Chat Noir à Montmartre, le Kabarett a survécu à la censure nazie et aux contraintes idéologiques de l’Allemagne de l’Est.

 

Chaque pays a-t-il son humour ? Romain Seignovert, auteur du livre Les meilleures blagues de Toto à travers l’Europe (2013), parle de l’importance de la caricature, du jeu de mots et de la provocation pour la culture française. Quand à l’humour allemand, il se moque plus des situations que des personnes et a également une prédilection pour l’absurde. Mais malgré ces particularités, les deux pays ont en commun l’émergence de la nouvelle génération des humoristes marquée par la diversité, la liberté de ton et l’usage des nouvelles technologies. Et si les stars du rire qui émergent sur Youtube franchissent allègrement toutes les limites, il est logique de se demander si elles réussiront à sortir aussi du cadre national…

dimanche 10 juillet 2016

La « bestiole » Donald Trump expliquée aux enfants


 

Le nouvel ouvrage consacré à Donald Trump paraît juste à temps avant la convention d'investiture républicaine qui débutera le 18 juillet à Cleveland. Cependant, il dresse un portrait peu flatteur de l’auteur de Comment devenir riche. Ecrit par Michael Ian Black et illustré par Marc Rosenthal, A Child's First Book of Trump (Mon tout premier livre sur Trump) s’adresse aux électeurs de demain.

 

Dans ce mélange de satire politique et de conte pour enfants, l'"Americus Trumpus" est présenté sous la forme d’une pomme de terre, à la peau « orange vif », au visage « rond » et aux mains « tristement atrophiées ». La créature se nourrit de dollars, se précipite vers chaque appareil photo qu'elle voit et veut apposer son nom sur tout ce qu'elle touche. Sa phrase favorite? "I'm the best" (je suis le meilleur).

 

L’habitat naturel de cet étrange animal qui se distingue par son «arrogance», sa «suffisance» et son «tapage intempestif» sont les écrans de télévision. Par conséquent et en guise de moralité, l’auteur suggère aux enfants de les éteindre, car  "Etre ignoré est la plus grande peur d'un Trump".

 


 
La satire qui se cache derrière un conte pour enfants : l’astuce n’est pas nouvelle et n’est pas sans rappeler quelques classiques littéraires. Espérons donc que les aventures de cet antihéros américain éditées par la maison Simon & Schuster connaîtront le même succès intemporel que Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift.

 

Du côté français, les petits (et les grands) ont aussi un grand choix des livres irrévérencieux comme on les aime. Découvrez l’un de nos favoris, Louis 1er roi des moutons d’Olivier Tallec (Actes Sud junior).

 

mardi 28 juin 2016

Ludovico Einaudi : le « chant de mort » qui illumine la vie




 
Les genres musicaux les plus classiques ouvrent parfois des possibilités insoupçonnées. C’est le cas de l’élégie (chant de mort en grec), appréciée notamment par Fauré, Poulenc, Saint-Saëns et Wagner. Désormais, l’élégie rime aussi avec l’engagement porté par une performance. On le découvre grâce à la vidéo tournée dans l’archipel de Svalbard (Norvège) et mettant en scène le compositeur et musicien italien Ludovico Einaudi. Seul sur une structure flottante au milieu de la banquise, il interprète au piano à queue Elegy for the Arctic, une œuvre composée spécialement pour l’occasion. Créée en partenariat avec Greenpeace, la vidéo qui a été visionnée plus de trois millions de fois en 48 heures a pour ambition de sensibiliser le monde aux conséquences du réchauffement climatique pour l'Arctique et son écosystème. Baptisée "Sauvez l'Arctique", la campagne renvoie à une pétition que le compositeur invite à signer sur sa page Facebook.
 
"Être là fut une expérience extraordinaire, déclare Ludovico Einaudi. J'ai pu constater la pureté et la fragilité de cette région de mes propres yeux et interpréter une musique que j'ai composée pour être jouée sur la plus belle scène du monde. Il est important que nous comprenions l'importance de l'Arctique, que nous stoppions sa destruction et que nous le protégions".
 
Défenseur convaincu de l’environnement, Ludovico Einaudi habite dans un domaine viticole dans la région du Piémont. Après avoir débuté sa carrière musicale à la fin des années 1980, il a réussi à trouver  un style personnel à travers une musique ambiante, méditative, souvent introspective et inspirée du minimalisme. Plusieurs de ses compositions ont servi pour la bande sonore de différents films ou séries, dont This is England (2006), Intouchables (2011) ou encore Mommy (2014). Ludovico Einaudi se produira en France le 19 juillet au théâtre antique d’Arles, dans le cadre du festival Les Escales du Cargo.
 
 

lundi 20 juin 2016

La Nuit des Arts et des Mondes à Pantin


 
Grâce à « Séances sur Seine » et à sa fondatrice Mariam Yazigi, nous avons pu assister à un événement exceptionnel : La Nuit des Arts et des Mondes, festival des Arts, de la Culture et de l’Interculturalité.  Créé en 2007 et porté par l’Association Arts-Mondes-Cultures, il a présenté cette année sa troisième édition qui s’est déroulée dans les Sheds de Pantin et avait pour thème l’ART DU RENOUVEAU.
 
 
 
 
Son programme était extrêmement riche et varié, avec une exposition d’Art contemporain, la construction de MURS du Renouveau, des scènes impromptues théâtrales ou d’improvisation, des concerts, des performances, des films, des débats, des rencontres et des animations organisées par les associations locales. L’événement était placé sous le patronage de la Commission Nationale Française pour l’UNESCO, de la Commission Nationale Roumaine pour l’UNESCO, du Mona Bismarck American Center et bénéficiait du soutien de la Ville de Pantin.
 
 
 
 
Pendant ce festival gratuit et ouvert à tout le monde, le public devient spect-acteur et contribue aux univers artistiques, aux performances, aux œuvres, en les faisant évoluer. Comme les années précédentes, cette troisième édition avait pour objectif de promouvoir les valeurs de citoyenneté, solidarité, transmission, le vivre et surtout le construire ensemble dans un cadre commun, mais aussi de rassembler et de créer des liens entre les populations de tous les quartiers.
 
 
 
 
De nombreux continents et pays sont représentés lors de cet événement. L’édition 2016 a mis à l’honneur trois pays : la France, les Etats-Unis et la Roumanie, unis dans leurs fondements par l’Esprit des Lumières, l’expression de la liberté et les découvertes interculturelles.
 
 
 
 
En présence d’officiels des 3 pays et de leurs artistes contemporains, le festival a célébré  160 ans d’amitiés Franco-Roumaine,  240 ans de la déclaration d’indépendance des Etats-Unis et les 70 ans de l’UNESCO.  Des conférences-débats ont eu lieu les 9 et 11 juin avec des personnalités françaises, roumaines et américaines, portant sur l’évolution du monde et la possibilité de construire des rapports plus solidaires et plus humains.  
 
 
 
L’association Arts-Mondes-Cultures porteuse du festival a pour buts de promouvoir les arts, la diversité culturelle et les liens entre les cultures, afin d’assurer une interaction harmonieuse et un vouloir vivre ensemble de personnes et de groupes aux identités culturelles à la fois plurielles, variées et dynamiques.







samedi 18 juin 2016

Frédéric Grèze : « Plus ambigu qu’une simple farce… »


Frédéric Grèze

 

Dans cette interview exclusive, le gagnant du Concours de manifeste 2016 évoque sa démarche, ses inspirations et ses projets.


1. Pourquoi avoir participé à ce concours ?

Depuis cette année, je participe aux ateliers L'Écriture sous toutes les Coutures d'Hélène Marciano. Lorsqu'Hélène a proposé de travailler sur un manifeste, j'ai pensé à cette idée d'une plaidoirie contre les sondages. La séance s'est terminée et on est passé à autre chose. Plusieurs mois plus tard, j'ai repris mes notes, fait quelques recherches sur le web sur des sondages idiots et j'ai vu se dessiner quelque chose de plus intéressant, de plus ambigu qu'une simple farce. Alors j'ai continué avec un petit logiciel de mise en page et puis comme je suis un peu joueur, je me suis rappelé du concours...

 

2. Est-ce la première fois que vous participez à un concours littéraire ?

En tant que candidat oui, mais il y a eu une dizaine d'années, j'ai eu le grand privilège d'être sélectionné comme juré pour le prix du livre Inter. J'en garde un souvenir mélangé de plaisir et de frustration. Plaisir d'avoir longuement débattu sous la présidence d'Olivier Rollin, un romancier que j'aime énormément, et de frustration car nous n'avons pas primé le livre que je préférais (François Bon "Daewoo roman").

 
Le spectacle poétique au Château d'Asnières


3. Qu’est-ce qui vous séduit dans le genre de manifeste ?

Je ne pense pas pouvoir faire une réponse générale car ce n'est pas un genre que je connaissais particulièrement avant de m'y essayer. Il me semble que c'est un exercice qui vise à convaincre, à défendre des positions très marquées, des idées en général généreuses et basées sur des convictions très fortes.

Ce qui m'a amusé c'est de détourner un peu l'approche en essayant d'ajouter de l'ambiguïté, du malaise sur des thèmes qui me tiennent à cœur: notre part de commune médiocrité que révèlent les sondages, mais la révèlent-ils ou la créent-ils ? et quelle est notre part de responsabilité dans cette création / révélation ? qui nous oblige à répondre sur notre préférence entre Zidane et l'abbé Pierre, ou à des questions croisées sur nos pratiques sexuelles et nos opinions politiques (vous pouvez vérifier sur Google, ce sondage là existe vraiment !!) ? à acheter les journaux, écouter les émissions qui donnent les résultats de ces enquêtes débiles?


 

La question de l'opinion publique face à la peine de mort est par ailleurs certainement une de celles qui a été le plus l'objet d'enquêtes. Quand j'étais enfant c'est un sujet dont nous parlions régulièrement en famille car mes parents étaient viscéralement contre et nous aurions pu écrire avec enthousiasme un manifeste pour son abolition! Dans le camp d'en face, je me souviens qu'un des grands arguments pour continuer à couper des têtes étaient que tous les sondages montraient que les Français n'étaient pas prêts à y renoncer. C'est pour ça que j'ai trouvé amusant de retourner la violence de la foule contre les sondeurs. Quand on joue avec les mauvais instincts, le pire devient possible.


 

Le manifeste, par sa mise en page, donne aussi la possibilité d'une "mise en scène de l'écriture". Ainsi, à la fin de la première page de mon texte, on peut penser qu'on a affaire à un tract populiste pour la peine de mort et en être révolté, au début de la 2ème page on peut croire que c'est juste une farce et en rire; à la fin de la lecture, peut-être qu'on est aussi un peu mal à l'aise face à notre penchant collectif pour la médiocrité et les réactions grégaires qui peuvent facilement désigner des boucs émissaires.

Je ne sais pas si ça fonctionne aussi bien que ça mais en tout cas j'espère qu'au moins certains lecteurs ou auditeurs ont pu passer par ce large éventail de ressentis. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai appelé ce texte "Mise en abîme".


4. Y a-t-il un auteur qui vous inspire particulièrement ?

Même si je n'y ai pas pensé en écrivant, je me suis dit a posteriori j'avais peut-être été en partie inconsciemment inspiré par le livre de Charb "Petit Traité d'intolérance" et aussi certainement par les plaidoiries inoubliables de Pierre Desproges dans une émission de radio de ma jeunesse "Le tribunal des flagrants délires". Quand je cherche une référence en matière de mélange d'humour, de profondeur derrière le rire et de qualité d'écriture, Pierre Desproges est pour moi définitivement indépassable.

 
La lecture de Mise en abîme par les participants de l'atelier d'écriture


5. Quel sera votre prochain défi créatif ?

Emporté par mon enthousiasme dans la foulée du concours de manifestes, j'avais aussi envoyé un texte au concours de poésie RATP dont les 100 finalistes viennent d'être sélectionnés. Je ne suis pas dans la liste, quel dommage ça doit vraiment être le pied de voir un texte qu'on a écrit, affiché sur les murs du métro! J'ai envoyé un 3ème texte très différent au concours d'une maison d'édition, Flammes Vives de la poésie. J'attends les résultats en juillet et je ne doute de rien ! Ce que j'ai vraiment trouvé sympa dans les ateliers de l’Ecriture sous toutes les Coutures, c'est justement de pouvoir explorer des thèmes et des contraintes d'écriture très variées. J'ai vraiment envie de continuer et d'essayer aussi de travailler sur des exercices de style jouant avec les sonorités des mots, mes collègues d'atelier sont très forts pour ça!

 

dimanche 5 juin 2016

Une récompense internationale pour Piotr Pavlenski


 
Piotr Pavlenski a reçu le prix Václav Havel pour la dissidence créative. Jugé à Moscou pour avoir mis le feu aux portes du siège historique du KGB, l’artiste de l’extrême, utilisant son corps comme matériau, s’était fait connaître pour d’autres performances spectaculaires souvent associées à l’automutilation. En 2012 avec l’action Suture, ce performer politique s’était cousu les lèvres avec du fil écarlate pour protester contre l’arrestation des Pussy Riot. En 2013, il s’enroule, nu, dans du fil barbelé, et s’allonge devant le Parlement de Saint-Pétersbourg pour dénoncer la politique répressive et homophobe du gouvernement russe. 

 

Le 23 février 2013, il met le feu à des pneus érigés en barricade sur un pont de Saint-Pétersbourg, en hommage au soulèvement de Maïdan, en Ukraine. En novembre 2013, lorsque la Russie célèbre « La journée de la police », il se déshabille encore et se cloue la peau des testicules sur les pavés de la place Rouge à Moscou pour protester contre le régime policier. En octobre 2014, il escalade, nu, un mur de l'enceinte de l’Institut psychiatrique Serbski tristement célèbre pour avoir accueilli des dissidents au régime soviétique. Il se coupe ensuite le lobe de l’oreille droite pour protester contre le recours à la psychiatrie à des fins politiques.

 

Pavlenski a été déclaré sain d’esprit par cet établissement, en janvier 2015, après y avoir été interné pendant 21 jours. Pour justifier sa méthode de travail, il évoque le souci de briser la peur et l’apathie de la société russe et le besoin d’imiter la violence du code visuel des actions du gouvernement.  Ce n’est donc pas par hasard qu’il a demandé d’être jugé pour « terrorisme », souhaitant faire de son procès une tribune. En raison de ce procès, il n’a pas pu recevoir son prix remis à son épouse le 25 mai à Oslo.

 

Le Prix Václav Havel pour la dissidence créative a été créé en 2012 par la Fondation des droits de l'homme basée à New York (HRF). Selon son président Thor Halvorssen, le prix récompense les individus « qui se livrent à la dissidence créative, en faisant preuve de courage et de créativité pour défier l'injustice et de vivre dans la vérité». Aung San Suu Kyi, Pussy Riot et la caricaturiste iranienne Atena Farghadani font partie des lauréats.

vendredi 20 mai 2016

Le privilège de l’ancienneté


 

Il n’y a pas si longtemps, on déplorait encore l’absence de manifestes au féminin. Ainsi, l’apparition de la lettre ouverte contre le harcèlement sexuel signée par 17 anciennes ministres de gauche et de droite est sans doute une bonne nouvelle, malgré les circonstances un peu particulières auxquelles elle doit son apparition.

En publiant leur appel dans le Journal du dimanche quelques jours après les accusations de harcèlement sexuel visant le député écologiste Denis Baupin, ces anciennes membres de gouvernement, parmi lesquelles Roselyne Bachelot, Cécile Duflot, Aurélie Filippetti, Nathalie Kosciusko-Morizet ou encore Christine Lagarde, annoncent la fin de l’impunité  et s’engagent à dénoncer désormais «systématiquement toutes les remarques sexistes, les gestes déplacés, les comportements inappropriés».

Rédigé sur le vif et lié à l’actualité, ce document s’inscrit dans la lignée des manifestes politiques défendant des causes très variées et dont la renaissance a été accéléré par l’incontournable « Indignez-vous ! » de Stéphane Hessel. C’est aussi un programme social qui a le mérite de surmonter les clivages politiques. Ecrit à la première personne, il garde, comme tout manifeste, un lien étymologique avec l’apparition, ou la révélation, à l’opposé de ce qui est caché, mais aussi un rapport avec l’agitation et les manifestations publiques.
 
Le nombre (certes très limité) de signataires n’est pas anodin : il exprime un taux de dissidence tout en faisant allusion à d’autres écrits collectifs dont le manifeste de 343 rédigé en 1971 par Simone de Beauvoir pour défendre l’avortement.

 Notons que la phrase « nous ne nous tairons plus », dénonçant l’omerta et la loi du silence qui se sert de tous les subterfuges (y compris la présomption d’innocence), est particulièrement révélatrice. D’une part, elle renvoie à d’autres classiques du genre, tels que le manifeste abolitionniste de Léon Tolstoï intitulé « Je ne peux plus me taire » (1908). D’autre part, l’emploi du futur traduit l’incitation au changement, qui est directement liée à l’appel à l’action propre au manifeste et qui va de pair avec les propositions très concrètes : l'«allongement des délais de prescription en matière d'agression sexuelle, la possibilité pour les associations compétentes de porter plainte en lieu et place des victimes, la fin de la correctionnalisation des viols», ou bien encore l' «instruction donnée aux parquets de poursuivre systématiquement en cas de harcèlement».

 Dans ce contexte, le mot « anciennes » semble d’autant plus déplacé mais aussi très significatif…  même s’il serait difficile de reprocher aux ministres actuelles leur refus de figurer parmi les signataires. En même temps, ce mot est important comme la seule marque du féminin – autrement, on aurait pu soupçonner leurs collègues masculins, aussi anciens soient-ils, d’une certaine solidarité probablement très mal vue par leurs congénères. Fort heureusement, il n’y a aucune ambigüité : il s’agit uniquement des femmes qui n’ont plus rien à perdre. Deux conditions suffisantes et réunies assez souvent pour espérer toute une série de nouveaux manifestes au féminin.

http://concoursdemanifeste.blogspot.fr

dimanche 24 avril 2016

5 raisons de voir "Merci patron !"


 

 

1. Parce que ce film ne ressemble à aucun autre


 

A l’heure où, selon le dernier classement du cabinet Universum, le groupe LVMH fait toujours autant rêver les étudiants, François Ruffin signe un documentaire cinglant qui vise autant Bernard Arnault en personne que les grands patrons en général. Le film raconte le combat du couple Klur qui au début semble perdu d'avance. Tous les deux étaient employés dans l'usine Ecce à Poix-du-Nord, une filiale du groupe LVMH jadis chargée de la confection des costumes Kenzo avant que l'usine ne soit délocalisée en Pologne en 2007.

 

Comme l‘a remarqué François Morel, « Merci patron ! pourrait concourir aux Césars dans la catégorie « Meilleur film » [...] et même meilleur film étranger tant ce film en effet est tellement étranger au reste de la production cinématographique habituelle ». Ce qui n’a pas empêché d’autres critiques de le comparer aux films d’Ernst Lubitsch, Frank Capra, Bruno Dumont et bien sûr Michael Moore. Néanmoins, il reste un ovni d’un tout nouveau genre, à la fois une enquête et un combat social réparant les injustices en direct : un vrai film d’action directe, selon une définition de l’économiste Frédéric Lordon.

 

2. Pour se faire une opinion sur un film autant encensé que boudé

 

Réalisé notamment grâce au financement participatif, le documentaire satirique de François Ruffin est en train de devenir un véritable succès populaire, avec 300 000 entrées dépassées. Cet intérêt a été alimenté par le buzz négatif autour de ce ciné-pamphlet, avec des interviews annulées ou écourtées, des pressions exercées sur les journalistes, de vives critiques sur Canal+, et enfin la mise à pied d’un prestataire de Renault faisant la publicité du film. D’autre part, de nombreuses personnalités ont soutenu ce « chef d’œuvre de la comédie  documentaire » (Jacques Mandelbaum), un film « tonique, vengeur, grinçant » (Sorj Chalandon), un thriller social revendiquant le suspense, l’espionnage, l’émotion et bien sûr la rigolade.

 

3. Parce que c’est drôle et jouissif


Comédie humaine ou farce authentique, ce documentaire sur la lutte des classes fait exploser la salle de rire par son insolence carnavalesque. Qu’on soit de droite ou de gauche, pas de qualité humaine particulière n’est requise pour s’identifier aux faibles et se réjouir des failles des tout-puissants révélées par un redresseur de torts. C’est ainsi que le Robin des Bois de Fakir avait su créer un défouloir social ayant convaincu même  l’homme-grenouille, l’auteur de la critique négative la plus utile sur AlloCiné :  "Son seul intérêt est la jouissance que l’on peut tirer à voir un groupe comme LVMH se faire ridiculiser à ce point..."

4. Parce que c’est aussi une réflexion sur le journalisme indépendant


Désigné par ses confrères comme « alterjounarliste », François Ruffin est aussi fondateur et rédacteur en chef de Fakir, journal satirique indépendant et alternatif engagé à gauche. Par son slogan « Journal fâché avec tout le monde. Ou presque » : Fakir met en avant sa liberté totale d'expression. En plus de l'indépendance politique, c'est l'indépendance économique qui permet sa liberté de ton à ce journal presque entièrement rédigé par des bénévoles et financé par les abonnements. Se situant comme un média de reportages et d'enquêtes sociales, il ne se contente pas de publications et organise aussi des actions militantes, comme les interventions dans les Assemblées Générales des grands groupes.

En tant que média alternatif, Fakir s’oppose clairement à la presse traditionnelle. Dans son premier livre, Les petits soldats du journalisme, François Ruffin dénonçait déjà  le système de formatage que constituaient les écoles de journalisme, en accusant sa propre école, le CDJ. D’après lui, ces établissements cultivent la complaisance avec le pouvoir et ne donnent aucune place à l’engagement politique et à l’impertinence. Mais il ne ferme pas les yeux sur le risque de l'entre soi qu’encourt tout mouvement anti-système. D’où l’un des leitmotivs du mouvement Nuit Debout dont François Ruffin est l’un des organisateurs principaux: « Faut-il prendre le pouvoir pour changer le monde ? »

 

5. Pour essayer de comprendre les origines de la sémantique négative du mot « patron » dans la langue française


Déjà en 1971 Les Charlots rendaient hommage au patronat en proposant d’échanger les rôles. Le danger qui d’après certains critiques guetteraient aussi François Ruffin : « Vous verrez, il finira patron… »

lundi 28 mars 2016

Un hommage aux femmes engagées


 
 
Comme Moira Sauvage le montre dans son livre « Guerrières ! », il a toujours existé des femmes essayant de défendre leurs droits ou lutter pour une cause. Mais les guerrières n’ont pu échapper aux normes que grâce à la tolérance de société qui avaient besoin d’elles. Sauf quelques exceptions elles ont ensuite été oubliées par les auteurs de la « grande Histoire » consacrée aux rois et aux conquérants. Quant aux émeutières, aux révolutionnaires, aux militantes des droits des femmes, elles ont souvent été reléguées dans un oubli volontaire. « En s’opposant à l’ordre établi, en luttant pour changer la société, elles ne correspondaient pas à l’image que l’on voulait garder du sexe dit „faible” ».[1]

L’exposition « Grandes résistantes contemporaines » répare cette injustice. Réalisée par l’association « Femmes ici et ailleurs » en collaboration avec plusieurs photographes, elle est présentée à l’Hôtel de Ville de Paris jusqu’au 9 avril 2016. L’exposition montre le parcours d’une trentaine de femmes emblématiques pour qui lutter est devenu un mode de vie. Dotées d’une énergie et d’un courage hors du commun, ces avocates, enseignantes, philosophes, religieuses, ethnologues et femmes politiques s’engagent avec détermination pour les causes diverses : la justice sociale, la démocratie, l’égalité des sexes, la dénonciation du pouvoir totalitaire et dictatorial, le développement durable ou la paix dans le monde. Elles s’élèvent contre le mariage arrangé, la mort par lapidation et alertent l’opinion publique sur la faim, la misère, les épidémies. Bien souvent, il s’agit de plusieurs causes à l’origine d’un engagement tout au long d’une vie, en dépit des entraves et des persécutions, des insultes et des intimidations, des menaces ou des tortures. Ainsi, il est important de se rappeler que Germaine Tillion n’était pas seulement une grande résistante, mais a également publié en 1966 « Le harem et les cousins », ouvrage sur les fondements de la culture méditerranéenne et les mécanismes injustes et violents des systèmes familiaux et claniques envers les femmes. Quant à la Libérienne Leymah Gbowee, prix Nobel de la paix 2011, cette Lysistrata des temps modernes était à l’origine de la « grève de sexe » dans son pays pour protester contre la guerre civile. Une grève similaire organisée par un groupe de 90 femmes a eu lieu au Soudan en octobre 2014. Comme l’héroïne mythique d’Aristophane, ces femmes assez folles pour refaire le monde[2] ont tenté d'inverser les rôles dans la société qui proclame que la guerre est l'affaire des hommes et la maison, celle des femmes. Malgré la diversité de leurs combats et de leurs parcours, ces résistantes ont en commun le leitmotiv des Mères de la Place de Mai, à l’origine des nouveaux modes de la contestation populaire dans l’Argentine des années 70 et 80 : « La seule lutte perdue est celle que l’on abandonne ».




[1] Moïra Sauvage, Guerrières ! A la rencontre du sexe fort, Actes Sud, 2012,  p. 19.
[2] Cf. Madeleine Van Oyen. ARISTOPHANE conservateur, féministe et utopiste.R de réel. [En ligne]. 1er mars 2007 [consulté le 19 janvier 2015]. Disponible sur: http://rdereel.free.fr/volAQ2.html