samedi 21 février 2015

Le JT est-il ringard?



Jeter le JT. Rien que le titre ludique et provocateur de l’essai de William Irigoyen méritait qu’on se penche sur son contenu. Ce pamphlet sous-titré Réfléchir à 20h est-il possible ? a paru aux éditions François Bourin. Après s'être plongé dans les archives de 1982, 1992 et de 2002, l’ancien présentateur du journal d'Arte s'attaque à la grand-messe ­télévisuelle du 20 heures devenue superficielle, stéréotypée et ethnocentrique. Selon l’auteur, à l’époque où le reportage est un luxe, les chaînes préfèrent s’abonner aux bourses d’images ou aux agences de presse (chapitre 2, Bouillie d’images). Prenant une importance démesurée, ces images, même authentiques, peuvent être manipulatrices, d’autant que leur commentaire fourni par les agences remplace les enquêtes par manque de temps. Ce sont aussi des experts et des spécialistes, souvent les mêmes, qui viennent remplacer la parole du reporter et la réalité du terrain. La quantité étant décisive, le JT veut toujours plus de séquences, toujours plus d’invités au lieu de valoriser le travail de ses journalistes. Le rythme de l’information et la cadence de chaque JT interdisent de prendre le temps de mettre en perspective et de comprendre.

La course effrénée à l’audience est à l’origine d’une uniformité affligeante et même chez Arte, on entend désormais parler d'Audimat. Cette course, ainsi qu’une certaine « paresse intellectuelle »  et un manque de prise de risque font que l'information en elle-même est remplacée par la mise en scène du dispositif déployé pour couvrir l'actualité, à l’instar des chaines d’info en continu. Le JT est désormais devenu un spectacle faisant appel aux émotions : « Pendant trente minutes la petite lucarne n’invite pas seulement à voir le monde, mais à contempler sa technique, sa mise en images » ( Regardez-moi ). Certains journalistes, à commencer par le présentateur ou la présentatrice, tiennent les premiers rôles dans cette mise en scène.

William Irigoyen déplore également un manque cruel de curiosité internationale et, au contraire, un goût prononcé pour les sujets météorologiques, pour les marronniers et pour les faits divers. Selon lui, la télévision obéit à la loi de proximité. Quant à la culture, elle est souvent réduite aux interviews de vedettes en tournée promotionnelle, c’est-à-dire réservée à une petite communauté d’artistes, acteurs et auteurs surmédiatisés.


Le journaliste propose donc d’entamer la réflexion sur la fin du JT et son remplacement par un magazine quotidien d'actualité, qui n'aurait pas peur de déranger, de ­surprendre, de faire des choix. Les journaux allemands de l'ARD peuvent indiquer une voie à suivre : le soir, ils évacuent le factuel de la journée en quinze minutes puis renvoient à une édition plus tardive où ils développent en profondeur certaines thématiques. Parmi les propositions de l’auteur : la désacralisation du rôle du présentateur, l’importance à accorder à la rédaction comme collectif, le retour de l’audace éditoriale, le choix de la longueur quand elle s’impose. « Mettre tout à plat – forme et fond – revient à convoquer une sorte de Vatican II de la grand-messe télévisée. Ces états généraux devront associer citoyens, professionnels de l’information, associations de téléspectateurs, pouvoir public, chercheurs ». D’après William Irigoyen, une telle réforme s’impose par l’évolution récente du métier de journaliste et impliquerait également des changements profonds dans son parcours de formation.


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