Jeter le JT. Rien que le titre ludique et provocateur de l’essai de
William Irigoyen méritait qu’on se penche sur son contenu. Ce pamphlet
sous-titré Réfléchir à 20h est-il possible ? a paru aux éditions
François Bourin. Après s'être plongé dans les archives de 1982, 1992 et de
2002, l’ancien présentateur du journal d'Arte s'attaque à la grand-messe télévisuelle
du 20 heures devenue
superficielle, stéréotypée et ethnocentrique. Selon l’auteur, à l’époque où le
reportage est un luxe, les chaînes préfèrent s’abonner aux bourses d’images ou
aux agences de presse (chapitre 2, Bouillie
d’images). Prenant une importance démesurée, ces images, même authentiques,
peuvent être manipulatrices, d’autant que leur commentaire fourni par les
agences remplace les enquêtes par manque de temps. Ce sont aussi des experts et
des spécialistes, souvent les mêmes, qui viennent remplacer la parole du
reporter et la réalité du terrain. La quantité étant décisive, le JT veut
toujours plus de séquences, toujours plus d’invités au lieu de valoriser le
travail de ses journalistes. Le rythme de l’information et la cadence de chaque
JT interdisent de prendre le temps de mettre en perspective et de comprendre.
La course effrénée à l’audience
est à l’origine d’une uniformité affligeante et même chez Arte, on entend
désormais parler d'Audimat. Cette course, ainsi qu’une certaine « paresse
intellectuelle » et un manque de
prise de risque font que l'information en elle-même est remplacée par la mise
en scène du dispositif déployé pour couvrir l'actualité, à l’instar des chaines
d’info en continu. Le JT est désormais devenu un spectacle faisant appel aux
émotions : « Pendant trente minutes la petite lucarne n’invite
pas seulement à voir le monde, mais à contempler sa technique, sa mise en images » ( Regardez-moi ). Certains
journalistes, à commencer par le présentateur ou la présentatrice, tiennent les
premiers rôles dans cette mise en scène.
William Irigoyen déplore
également un manque cruel de curiosité internationale et, au contraire, un goût
prononcé pour les sujets météorologiques, pour les marronniers et pour les
faits divers. Selon lui, la télévision obéit à la loi de proximité. Quant
à la culture, elle est souvent réduite aux interviews de vedettes en tournée
promotionnelle, c’est-à-dire réservée à une petite communauté d’artistes,
acteurs et auteurs surmédiatisés.
Le journaliste propose donc d’entamer
la réflexion sur la fin du JT et son remplacement par un magazine quotidien
d'actualité, qui n'aurait pas peur de déranger, de surprendre, de faire des
choix. Les journaux allemands de l'ARD peuvent indiquer une voie à suivre : le
soir, ils évacuent le factuel de la journée en quinze minutes puis renvoient à
une édition plus tardive où ils développent en profondeur certaines thématiques.
Parmi les propositions de l’auteur : la désacralisation du rôle du
présentateur, l’importance à accorder à la rédaction comme collectif, le retour
de l’audace éditoriale, le choix de la longueur quand elle s’impose.
« Mettre tout à plat – forme et fond – revient à convoquer une sorte de
Vatican II de la grand-messe télévisée. Ces états généraux devront associer
citoyens, professionnels de l’information, associations de téléspectateurs,
pouvoir public, chercheurs ». D’après William Irigoyen, une telle réforme
s’impose par l’évolution récente du métier de journaliste et impliquerait
également des changements profonds dans son parcours de formation.
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