mercredi 30 décembre 2015

"Mon hiver à Paris", l'art de résister à la française




Le Comité Régional du Tourisme (CRT) Paris Ile-de-France met en place un dispositif de communication autour du guide « Mon Hiver à Paris » destiné à relancer le tourisme français et international. La nouvelle version disponible depuis le 14 décembre, fait référence aux attentats de Paris, avec une photo de la tour Eiffel tricolore et affichant la devise de la ville : « Fluctuat nec mergitur ».

Conséquence directe des attaques, les professionnels du tourisme franciliens ont accusé, d'après le journal Direct Matin, une réduction de leur activité de 24% au mois de novembre. Les établissements du secteur (hôtels, restaurants) ont également vu leur fréquentation baisser de 27%. Les Italiens, les Japonais et les Brésiliens sont ceux qui boudent le plus la région depuis les attentats.

Dans ses 66 pages, ce guide touristique édité deux fois par an en anglais et en français, présente l’art de vivre à la française, avec une multitude d'adresses et d'informations pratiques. Pour faire découvrir aux touristes Paris et sa région, il propose une série d’activités classées par thèmes :

- Shopping, avec un tour d’horizon des créateurs symboles de la French Touch comme IRO A.P.C., Maje… et un nouveau venu Sézane. Une double page « Shopping green » fait découvrir le meilleur du shopping éthique, chic et responsable, de l’habillement à la décoration. 

- Gastronomie, des balades gourmandes aux délices sucrés dont la notoriété a fait le tour du monde : l’Opéra, le St Honoré, l’Eclair, des marchés traditionnels aux épiceries fines, la gourmandise et la convivialité sont au rendez-vous.

- Féérie, Paris ville lumière déploie sa magie le temps de l’hiver avec les animations de Noël, les cirques, les spectacles pour les grands et les petits.

Le guides propose également 7 idées pour voir « Paris et sa Région en couleurs », parcours de sorties organisés par « profils » ou par « envies », reflétant les tendances et les activités de cette période : arty / en famille / fashionista / noctambule / gourmand / amoureux. Une nouveauté cette année : un parcours « green » (shopping, culture, applis) en écho à la COP 21.

De nombreuses villes franciliennes sont citées, comme Enghien-les-Bains (95), qui accueille actuellement un village d’hiver avec patinoire et piste de luge, Fontainebleau (77) pour son château ou encore Le Bourget (93) pour son musée de l’Air et de l’Espace.

Tiré à plus de 200 000 exemplaires, le guide papier est diffusé en France sur les 12 Points Information Tourisme du CRT (Aéroports Paris CDG et Paris Orly, Versailles, Disneyland Paris et Galeries Lafayette), dans les Offices de Tourisme et via le réseau hôtelier.

mardi 22 décembre 2015

Bientôt "Mein Kampf" en cadeau de Noël ?


 
 
Une vision extrêmement dérangeante: le syndicat allemand des enseignants veut inclure Mein Kampf d’Adolf Hitler dans le programme scolaire.

 

Pendant 70 ans, ce  « texte fondateur » détaillant les bases idéologiques de l’idéologie nazie a été interdit à la vente en Allemagne. Fin 2015  il doit tomber dans le domaine public, ce qui ouvrirait la voie à une réédition. Celle-ci comprendrait le texte original sur les pages de droite et des commentaires sur la page de gauche. Cette version annotée sera la seule autorisée sur le territoire allemand, alors que les ouvrages non commentés resteront interdits à la vente.

 

"Une lecture de certains passages dans la salle de classe, bien encadrée par les enseignants, peut être une contribution importante à l’immunisation des adolescents contre l'extrémisme politique" affirme Josef Kraus, le président le syndicat allemand des enseignants interrogé par le journal Handelsblatt. "Car ce qui est interdit dans les écoles - nous le savons grâce aux indices du Département fédéral des médias dangereux pour la jeunesse – est particulièrement demandé, par exemple via l'Internet, ajoute Kraus. Il vaut que la réception de Mein Kampf soit encadré par les historiens et les professeurs de politique."

 

Pour ces raisons, l’ouvrage serait enseigné uniquement dans les lycées à partir de l’âge de 16 ans, à travers des extraits choisis. De façon générale, son étude pourrait aider à comprendre et à prévenir la genèse des idéologies inhumaines véhiculant le discours de haine qui renaissent aujourd’hui dans un autre contexte et avec d’autres justifications.

 

Après sa tentative de coup d'Etat en Novembre 1923, Adolf Hitler a écrit Mein Kampf  lors de sa détention à la prison de  Landsberg. Dans ce document, il a présenté ses opinions et ses projets politiques, et notamment sa «théorie raciale».


Le premier tome a paru en 1925, le deuxième l’année suivante. Au début, le livre n’a pas été pris au sérieux par les partis démocratiques. Mais à l'automne 1944, son tirage a atteint 12,4 millions d'exemplaires en Allemagne. Après la guerre le gouvernement militaire a transféré les droits d'auteur à l'État libre de Bavière, ce qui empêchait  toute réédition ultérieure dire pendant les 70 ans suivant la mort du dictateur.


dimanche 13 décembre 2015

"Marre du rose": la nouvelle campagne contre les jouets sexistes


 
Cette année encore, sous le sapin, des millions d’enfants recevront des cadeaux au code couleur traditionnel : du bleu, du gris, ou du noir pour les garçons, du rose ou du violet pour les filles. Aux premiers, l'exploration, la découverte, l’invention, le combat, le danger, l’aventure, bref la transcendance si chère à Simone de Beauvoir. Aux deuxièmes, à travers un design « girly », l’immanence feutrée et répétitive des fées du logis : l'intérieur, le soin, la sécurité, le calme, le sentiment... Et comme le jeu présente un aspect important du développement psychologique et cognitif des enfants, c'est toute une construction sociale qui s'organise petit à petit autour de la hotte du Père Noël.

 

Ces rôles stéréotypés sont rarement à l’avantage des filles, invitées à s’occuper de la maison, à pouponner, à rêver au prince charmant et à se préparer à lui plaire en soignant leur apparence. Ils présentent également le danger d’hypersexualisation des fillettes, dénoncée par des campagnes contre la publicité sexiste et documentée dans un rapport du gouvernement de mars 2012.

 

Outre une séparation caricaturale des filles et des garçons, les catalogues de Noël témoignent de la diversité bien plus importante des activités proposées aux garçons et du choix de cantonner les filles à la sphère privée et aux apparences physiques. Les garçons disposent d’une gamme d’activités socialement valorisées à travers la science et la technique. La dévalorisation du féminin va très loin quand un objet est proposé avec des fonctions différentes pour les filles et les garçons : ordinateur blanc-gris au design sérieux pour les garçons qui propose 50 fonctions et sa version pour les filles rose au design ludique, proposant... 25 fonctions

 

Les jouets les plus franchement sexistes sont ceux dits d’imitation (des parents). Dans la partie « comme maman » : fer à repasser, robot ménager, kit de la caissière ; dans celle « comme papa » : table complète de bricolage, jeux de constructions… Ces jouets et la façon de les présenter limitent l’accomplissement des filles et les enferment dans des rôles stéréotypés, souvent dépassés dans la réalité par les évolutions de la société et un partage plus équitable des tâches.

 

Proposés dès le plus jeune âge, les jouets sexistes peuvent induire un conditionnement, qui n’est peut-être pas sans répercussion sur le choix ultérieur de l’orientation scolaire et des métiers. Placer l’enfant dans un contexte de la ségrégation sexiste bride son imaginaire, sa créativité et ses projections dans l’avenir. Dénoncée dans les années 1970, elle perdure, malgré les engagements internationaux, européens ou nationaux de lutte contre les stéréotypes de genre qui assignent filles et garçons à des rôles culturellement construits par la société. Le phénomène a même tendance eu à s’amplifier depuis les années 1990, avec la multiplication des cibles commerciales sous les contraintes du marché, notamment au travers les nouvelles gammes de jeux de construction spécial filles. Emissions télé, publicité, commerce, magazines pour les parents et nombre d’ouvrages pseudo psychologiques, tout conforte des clivages de genre, opposant de pseudo valeurs « féminines », par exemple la passivité, à des valeurs qui seraient intrinsèquement « masculines » comme l’agressivité et la conquête du monde. Or ce clivage soit disant naturel est démenti par des études récentes qui témoignent de la plasticité du cerveau humain.

 

Heureusement, de nombreux parents, associations, consommateur et consommatrices, excédés par le "marketing genré" commencent à prendre des initiatives. En France, le blog macholand.fr, qui propose aux internautes de signaler des faits sexistes, a épingle les hypermarchés Cora pour leur catalogue 2014 avec un message à leur envoyer : "J’ai rencontré hier une petite fille qui voulait jouer avec des robots et un petit garçon qui voulait jouer à la poupée. Si l’on en croit votre catalogue, ce n’est pas possible. Ma question est la suivante : ces enfants seraient-ils de dangereux déviants ou (autre hypothèse), votre catalogue ne serait-il plus tout à fait adapté au 21ème siècle et nécessiterait une petite mise à jour ? Merci de faire le nécessaire pour ouvrir le champ des possibles aux enfants et ne pas leur fermer des portes avant leur 10ème anniversaire !"

 

Cette année, les des associations féministes lancent une nouvelle campagne de sensibilisation aux stéréotypes sexistes véhiculés par les jouets, baptisée "Marre du rose". Des militantes d’"Osez le Féminisme" et des" Chiennes de garde" distribuent actuellement des tracts devant des magasins de jouets à Paris et dans plusieurs villes de France. Elles demandent notamment l'abandon par les magasins des rayons séparés filles/garçons et également du code couleur rose/bleu. Elles invitent aussi le grand public à interpeller l'industrie du jouet, en envoyant sur les comptes Facebook de grandes enseignes de distribution et de fabricants un message disponible sur leur site.

 


Parmi les jouets incriminés: la collection Lego Friends destinée aux fillettes, et le Monopoly décliné en rose, où les "banques et hôtels sont remplacés par des ongleries et des magasins de lingerie". "Nous nageons en pleine régression", accusent les militantes féministes. "Nombre de jouets en 1980 étaient unisexes" et "se passaient de frères à sœurs", rappellent les deux associations. "Pour doubler votre chiffre d'affaires, vous déclinez des jeux en rose et en bleu, enfermant filles et garçons dans des rôles totalement périmés". Cette régression à la fois sociologique et consumériste s’est exacerbée dans le contexte de la polémique sur "le genre" : certains vont jusqu’à déplorer l’effort fait par l’enseigne Super U de proposer en 2013 un catalogue de jouets moins sexiste, montrant des photos de garçons avec des dînettes et de filles avec des voitures...

 


Avec humour, les militantes d'"Osez le féminisme" ont aussi détourné la célèbre chanson "Libérée, délivrée", du film de Disney, "La Reine des neiges", en "Libérée... des clichés" : une autre façon de faire avancer le débat qui est loin d’être clos.

 

samedi 7 novembre 2015

Manifesto Attitude : Edilivre en marge du prix Goncourt




Chacun a ses raisons d’écrire un manifeste. Pour la maison d’édition alternative Edilivre, il s’agit de revendiquer la démocratisation de l’édition. Tel est l’objet de leur Manifesto diffusé le  3 novembre lors d’une manifestation devant Drouant, le célèbre restaurant où délibère tous les ans l'Académie Goncourt. Sous les slogans aussi décalés qu’emblématiques  comme « Ouvrez les maisons closes », « J'ai le feu aux pages », « Écrire...et plus si affinités », Edilivre a profité de la couverture médiatique autour de la remise du prix Goncourt pour interpeller les journalistes de façon joyeuse et humoristique.

 

Sans remettre en question ou boycotter le prix en tant que tel, les auteurs militants ont présenté leur vision de la publication ouverte au plus grand nombre. Démocratiser l’accès à l’édition permettrait à leurs yeux de révéler plus de talents tout en échappant à la loi du formatage. Ce n’est pas par hasard que certains best-sellers, comme «Les Gens heureux lisent et boivent du café » d’Agnès Martin-Lugand, ont pu émerger et être plébiscités par le public hors des canaux de l’édition traditionnelle.

Pour simplifier le processus éditorial, il faudrait  faire évoluer les codes. Fidèles à Edilivre, ses auteurs défendent un modèle d’édition qui se situe à la frontière de l’autoédition et de l’édition traditionnelle : à la fois innovant grâce au numérique mais toujours accompagné par des équipes engagées et professionnelles. L’un des objectifs d’Edilivre et de défendre l’édition collaborative et communautaire. C’est dans cette optique que la maison a crée 27 Clubs Auteurs permettant aux auteurs d’une même région de s’entraider et de multiplier les opportunités pour promouvoir leur livre.


 
Voici, dans son intégralité, le manifeste de ces auteurs engagés.
 
"Démocratiser l’édition : c’est nécessaire et c’est maintenant ! Nous sommes des militants de la démocratisation de l’édition.
 
Pour révéler plus de talents et en démocratiser l’accès, il est urgent de défendre une nouvelle vision de l’édition.
 
OUVERT : Démocratiser l’édition, c’est avoir l’ouverture nécessaire pour permettre à chaque auteur de s’exprimer !
 
 Peu importe le sexe, la religion, la couleur de peau, l’origine sociale ou la musique que l’on écoute, nous sommes convaincus que chacun a son mot à dire, une histoire à raconter, une expérience à partager. Pour révéler plus de talents, il faut démocratiser l’accès à l’édition.
 
SIMPLIFIÉ : Démocratiser l’édition, c’est simplifier le processus pour faire vivre aux auteurs une expérience de publication intuitive, conviviale et libre !
 
 Un projet d’écriture doit pouvoir se réaliser le plus simplement possible et sans contraintes lourdes. Les moyens humains et techniques — avec le numérique — permettent aujourd’hui d’offrir aux auteurs une expérience de publication intuitive, conviviale et libre, depuis un clavier d’ordinateur ou une simple tablette, en parfaite autonomie et sans dénaturer le manuscrit soumis.
 
ACCESSIBLE : Démocratiser l’édition, c’est élargir l’accès, tout en maintenant un accompagnement éditorial de l’auteur par des professionnels impliqués !
 
 Les relations humaines nourrissent le processus de publication de l’ouvrage. La qualité des échanges avec des équipes engagées et professionnelles favorise l’accompagnement de l’auteur tout au long du processus et lui permet ainsi d’éditer son manuscrit dans les règles de l’art, aussi bien au format papier qu’au format numérique.
 
GÉNÉREUX : Démocratiser l’édition, c’est rémunérer généreusement chaque auteur !
 
 En tant qu’élément central de l’activité de l’éditeur, l’auteur doit faire l’objet d’une attention particulière, impliquant une rémunération généreuse en fonction de ses ventes, aussi bien au format papier qu’au format numérique.
 
AMBITIEUX : Démocratiser l’édition, c’est permettre aux auteurs d’être accessibles au plus grand nombre !
 
Publier est la mission première de l’éditeur mais son rôle est aussi de redoubler d’efforts pour le référencement et la promotion de son catalogue."
 

lundi 2 novembre 2015

Raif Badawi, Prix Sakharov 2015




Le 29 octobre, le Parlement Européen de Strasbourg a décerné son prix Sakharov 2015 pour la liberté d’expression au blogueur saoudien Raif Badawi. Emprisonné depuis 2012 dans son pays pour « insulte » à l'islam, il a été condamné à 10 ans de prison et 1 000 coups de fouet, à raison de 50 par semaine. Le jeune homme de 31 ans n'a pour l'instant été flagellé qu'une seule fois, en public, en janvier dernier.

 

Après avoir annoncé le nom du lauréat 2015, le président du Parlement européen, Martin Schulz, a appelé le roi d'Arabie saoudite, Salman, à le libérer « immédiatement »  pour qu’il retrouve sa famille et lui donner la possibilité de recevoir ce prix à Strasbourg pendant la session de décembre. Selon Martin Schulz,  Raif Badawi, est devenu certainement, pour beaucoup de gens, un symbole dans notre monde numérique dans lequel il se bat. L'annonce a été accueillie par une ovation de l'Assemblée.

 

Né en 1984, l’animateur du site internet Liberal Saudi Network est aussi lauréat 2014 du prix Reporters sans frontières-TV5 pour la liberté de la presse. Il avait été arrêté le 17 juin 2012 pour des articles publiés sur son site Liberal Saudi Network, un « réseau de discussions en ligne dont l’objectif est d’encourager les débats politiques, religieux et sociaux ». Ses écrits, notamment un sur la police religieuse, la « muttawa », ont irrité le régime. Plusieurs manifestations pour exiger sa libération se sont tenues au Québec, ainsi qu'en Europe. Amnesty International s'est aussi impliquée dans ce dossier.

 

Le prix Sakharov pour la liberté de l'esprit, est une récompense prestigieuse. Portant le nom du scientifique et dissident soviétique Andrei Sakharov, il fut créé en 1988 par le Parlement européen pour honorer les personnes ou les organisations qui ont consacré leur existence à la défense des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

 

Les candidats au prix Sakharov sont nommés par les membres du Parlement européen. Ensuite, les nominations sont évaluées lors d'une réunion de la commission des affaires étrangères et de la commission du développement. Au mois d'octobre, après le vote final de la Conférence des présidents, le lauréat est annoncé. Le prix Sakharov, doté de 50 000 euros, est remis par le président du Parlement européen en session plénière à Strasbourg. Parmi les lauréats précédents figurent l'ex-président sud-africain Nelson Mandela, la dissidente birmane Aung San Suu Kyi et la jeune Pakistanaise Malala Yousafzai.

 
 

Le nouveau lauréat succède au médecin congolais Denis Mukwege. Raif Badawi a été choisi par les chefs de file des groupes politiques représentés au Parlement de Strasbourg, parmi deux autres nominés : une coalition d'opposants vénézuéliens et – à titre posthume - l'opposant russe Boris Nemtsov, assassiné à Moscou cette année.

 

Ensaf Haidar, l'épouse du jeune blogueur, a fui au Canada avec leurs trois enfants après avoir reçu des menaces de mort. Elle mène une campagne active pour obtenir la libération de son mari. Ses demandes au roi, comme celles de l'Union européenne, de l'ONU et des Etats-Unis, sont pour l'instant restées lettre morte. La condamnation de Raif Badawi a été confirmée par la Cour suprême saoudienne en juin 2015. Et selon son épouse, le blogueur pourrait subir une nouvelle séance de sévices corporels tout prochainement.

 

Si l’attribution du prix Sakharov fait l’unanimité partout dans le monde, elle pourrait provoquer la colère des autorités saoudiennes. En juin dernier, Riyad a fait savoir qu’il n’accepterait aucune « ingérence étrangère » dans « ses affaires internes ».

Pour soutenir Raif:

https://www.facebook.com/free.badawi
 

mardi 27 octobre 2015

"Le roseau révolté" de Nina Berberova


 

 

Les destins féminins

 

Nina Berberova, (1901-1993), l’une des grandes auteures de l’émigration russe, nous a laissé une œuvre remarquable qui contient des romans, de la poésie, deux pièces de théâtre, des essais et bien sûr son livre de souvenirs intitulé « C’est moi qui souligne ». En étudiant son œuvre de fiction, des critiques et des chercheurs ont souvent souligné l’évolution de sa façon d’écrire. Ainsi, à partir des années 1930, sa prose est de plus en plus inspirée de son vécu ; l’univers masculin de ses œuvres de jeunesse (Les Chroniques de Billancourt, Les Derniers et les Premiers) laisse place à un monde dont la femme est l’actrice principale. Tout laisse donc supposer que, d’une certaine manière, sa prose de fiction prépare et anticipe l’écriture de son autobiographie.

 

Lorsqu’elle crée dans son œuvre l’image de la nouvelle femme, Berberova tient avant tout à se distancier de la génération précédente pour laquelle « le plus important était de paraître[i] ». En observant les dames du monde, précieuses et maniérées, déclamant des vers d’une voix larmoyante, elle se sent une jeune fille différente, « si étrangère à leurs rêveries, leurs chuchotements et leurs espoirs[ii] ». Voilà pourquoi elle a l’impression d’être incomprise par sa propre mère, une représentante typique de cette espèce mondaine qui se montre indifférente à tout ce qui anime Nina à cette époque. « Grandir, puis vieillir sans être aucunement préparée à comprendre les problèmes politiques, sociaux, scientifiques et esthétiques de son temps semblait à ma génération une triste anomalie[iii] » .

 

Un certain rejet de la beauté féminine est aussi caractéristique pour Berberova : la plupart de ses héroïnes sont affublées d’un physique moyen, sinon disgracieux[iv]. Cependant, comme le soutient Evelyne Enderlein, cet effacement de l’extérieur se montre « inversement proportionnel à une hypertrophie de la vie intérieure[v] ».

 

L’histoire d’une révolte

 

Le roman Roseau révolté (1958) tient une place à part dans l’œuvre de Nina Berberova. Ce texte extrêmement révélateur qui, selon son éditeur Hubert Nyssen, devrait faire le bonheur de tout cinéaste intelligent[vi], peut être lu comme un véritable credo.

 

Les premières lignes qui nous revoient  aux événements du 2 septembre 1939 résument ce jeu éternel des enchantements et des désenchantements qui fait la force de la prose berberovienne : « Il arrive dans la vie de chacun que, soudain, la porte claquée au nez s’entrouvre, la grille qu’on venait d’abaisser se relève, le non définitif n’est plus qu’un peut-être, le monde se transfigure, un sang neuf coule dans nos veines. C’est l’espoir. Nous avons obtenu un sursis. Le verdict d’un juge, d’un médecin, d’un consul est ajourné. Une voix nous annonce que tout n’est pas perdu. Tremblants, des larmes de gratitude aux yeux, nous passons dans la pièce suivante où l’on nous prie de patienter, avant de nous jeter dans l’abîme ».

 

L’héroïne est une femme très amoureuse qui s’accroche désespérément à l’homme qu’elle aime, tout d’abord au sens propre du terme. Il lui semble impossible de laisser repartir Einar dans sa Suède natale. Cet amour maintenu intact malgré toutes les épreuves de la guerre lui permettra de survivre et de retrouver Einar après sept ans de séparation.

 

Cependant contre toute attente, ce n’est pas l’amour mais la libération d’une dépendance amoureuse qui est le thème véritable du Roseau révolté. C’est la révolte d’une femme abandonnée qui n’est pas prête à payer n’importe quel prix pour reconquérir l’être aimé. Elle préfère renoncer à Einar plutôt que de laisser quelqu’un d’autre qu’elle-même diriger son existence.

 

Retour en no man’s land


 

Berberova explique le choix de son héroïne par le besoin de préserver son espace de liberté et de mystère, de silence et de solitude, cet espace inhérent à la condition humaine qu’elle appelle no man’s land. « Il y a l’existence apparente, et puis l’autre, inconnue de tous, qui nous appartient sans réserve. Cela ne veut pas dire que l’une est morale et l’autre pas, ou l’une permise, l’autre interdite. Simplement chaque homme, de temps à autre, échappe à tout contrôle, vit dans la liberté et le mystère, seul ou avec quelqu’un, une heure par jour, ou un soir par semaine, ou un jour par mois. »

 

La notion de no man’s land est associée dans l’esprit de Berberova à l’image de roseau pensant. Selon Pascal, l'être humain est un être vivant dont toute la dignité consiste en la pensée. Cette image a connu une évolution dans l’œuvre du Fédor Tioutchev, un poète russe du dix-neuvième siècle : dans son poème Il y a une mélodie dans les vagues de la mer, le roseau pensant « murmure sa révolte ». Si pour Tioutchev l’harmonie de la grande chorale de la nature est perturbée par la dissonance de « la musique de l’âme » due à sa « liberté éphémère », pour Berberova, la capacité de se révolter est une qualité essentielle de l’être humain. C’est cette indépendance qui détermine le choix final de l’héroïne du Roseau révolté de préserver sa dignité pour ne pas se mutiler en sacrifiant sa transcendance. Murie et aguerrie, forte de son vécu, elle ne veut plus être un jouet du destin ou des personnes en échange d’un sursis, d’une promesse, d’une lueur d’espoir. Elle ne se laisse pas manipuler par la femme d’Einar et trouve le courage d’expliquer sa décision de partir : « Maintenant, quand une porte s’ouvre ou qu’une fenêtre se relève, les larmes de gratitude ne m’étouffent plus, non ! Je ne profite pas de toutes les occasions, je ne m’incline pas devant toutes les permissions. Après ce que j’ai vu, je n’ai pas envie d’être, en quoi que ce soit, l’animal que l’on met au pas, que l’on dresse, que l’on envoie quelque part, que l’on gave ou que l’on fait mourir de faim, que l’on punit ou que l’on congratule pour avoir bien obéi à la baguette ».

 

Ainsi, contrairement à d’autres héroïnes de Berberova, la protagoniste du  Roseau révolté  ne cherche pas à détruire ou à se détruire, mais, au contraire, fait preuve de respect pour les autres : selon Hubert Nyssen, il s’agit d’une révolte « dans la lucidité, l’intelligence, la douceur, la sensualité, la fierté[vii] ».

 



[i]               « C’est moi qui souligne ». Thesaurus Nina Berberova (essais), Actes Sud, 1998, p. 74.
[ii]              Ibid., p. 100.
[iii]              «  Histoire de la baronne Boudberg », In : Thesaurus Nina Berberova,  p. 1445.
[iv]              Gayaneh Armaganian-Le Vu, Le thème de l’émigration dans l’œuvre en prose de Nina Berberova, mémoire et création, thèse pour le doctorat en langue et littérature slave, sous la direction de Michel Aucouturier, université de Paris IV, Sorbonne, 1999, p. 229.
[v]              Evelyne Enderlein, « Nina Berberova, “Des vainqueurs et des vaincus” (quelques réflexions sur les héroïnes berbéroviennes) », In : Modernités russes 4 : La femme dans la modernité, Centre d’Etudes Slaves André Lirondelle, Université Jean-Moulin, Lyon, 2002, p. 333.
[vi]              Hubert Nyssen, L’Éditeur et son double, I, Actes Sud, 1988, p. 257.
[vii]             Ibid.

mercredi 14 octobre 2015

Manifesto attitude: Vladimir Maïakovski en 10 photos


Comment approcher l’immense poète qui incarnait, comme aucun autre, la démesure et la provocation ? Peut-être à travers ces quelques photos révélatrices de sa capacité à jouer son propre rôle avec talent, passion et sincérité.


Maïakovski en 1910
 
 
 
L'affiche de la première soirée futuriste (1913)
 
 
 
"La Lune crevée": l'almanach des cubo-futuristes (1914)
 
 
 
Maïakovski en 1914
 
 
 
"Je suis peut-être le dernier poète..."
Autographe de Maïakovski (années 1910)
 
 
 
Extrait de la tragédie "Vladimir Maïakovski" (1914)
 
 
 
 
Costumes pour "Mystère-Bouffe" (1918) 
 
 
 
 
L'une des photos les plus connues prise en 1924 par Alexandre Rodtchenko
 
 
 
L'affiche publicitaire du magasin Goum (par V. Maïakovski et A. Rodtchenko)
 
 
 
 
Le dernier dessin de Maïakovski



Pour participer au concours de manifeste:


lundi 5 octobre 2015

Manifesto Attitude : Friedensreich le visionnaire


Hundertwasserhaus à Vienne


Rien que son nom a déjà tout d'un manifeste. Friedensreich Hundertwasser Regentag Dunkelbunt LiebeFrau s’appelait en réalité Friedrich Stowasser. Celui qui se désignait comme « Le royaume de la paix (aux) cent eaux » citait tout aussi volontiers la traduction japonaise de son nom (hyaku-sui). Bien qu'il soit né et ait grandi en Autriche, le pays d'adoption de Hundertwasser était la Nouvelle-Zélande, et sa principale maison le navire Regentag (jour de pluie), un ancien navire de commerce réorganisé.

 

Dans les années 1970, Hundertwasser acquiert dans la Bay of Islands en Nouvelle-Zélande plusieurs propriétés, qui comprenaient avec une surface totale de 372 ha, toute la vallée "Kaurinui". Là, il réalise son rêve de vivre et travailler dans la nature et entre autres dans le "bottle house" qu'il avait conçu. Il y installe des capteurs solaires, une roue à eau et une station de traitement de l’eau par les plantes ce qui lui permet de vivre en autarcie. Il expérimente aussi la technique des toits plantés. Précurseur du mouvement écologiste et de l’activisme vert, il avait également construit une centrale thermique multicolore pour le chauffage urbain de Vienne.

 

Hundertwasser était imprégné par le paysage artistique viennois fin de siècle marqué par les courbes et les ornements de l’Art Nouveau et par la pédagogie alternative de Montessori. Mais ses constructions organiques, il les puisait aussi dans l'architecture anonyme, s'inspirant de ses voyages au Yémen, au Soudan, au Japon, en Islande et en Afrique du Nord.  Sa maison idéale peinte en 1962 possède mille fenêtres qui s'ouvrent au monde.

 

La variété des couleurs et une imagination débordante qui refuse de se laisser enfermer dans un carcan font toute l’originalité de cet artiste. Hundertwasser aimait l'asymétrie, l’abondance  des formes et tout ce qui vient rompre l'ordre et la monotonie de la géométrie pure. Sa philosophie artistique est marquée par l’idée de l’osmose, de l’interpénétration organique des strates.

 

A partir des années 1980, il travaille à plusieurs grands chantiers en Autriche et en Allemagne. Il avait notamment créé en 1983 à Vienne un immeuble qui porte son nom: cette construction, le monument le plus visité de la capitale autrichienne est un symbole de "l'architecture écologique". Cet édifice très original est constitué de briques, de céramiques, de matériaux naturels, et agrémenté d'une végétation luxuriante (253 arbres et arbustes). Le hall abrite même une étonnante fontaine où l’eau coule à l’envers. Pour réaliser cette construction, Hundertwasser s’est inspiré des œuvres d’Antoni Gaudi, de Simon Rodia (Watts Towers), mais également de l’architecture anonyme des jardins ouvriers et des livres de contes.

 

En quête de l’harmonie spirituelle, il créé des formes originales et cherche à tisser des rapports étroits entre l'art et la nature. Leur travail commun faisant jaillir une créativité spontanée apparaît sous forme symbolique qu’il appelle « la moisissure créatrice ». En 1958 à Wiesbaden, il  publie son Manifeste de la moisissure contre le rationalisme en architecture (Verschimmelungs-Manifest gegen den Rationalismus in der Architektur) marqué par un esprit existentialiste et antitotalitaire. Alors qu’il est encore loin de ses réalisations architecturales, il exprime d’ores et déjà dans ce texte son idée maîtresse d’une architecture humaine et participative. Rejetant tout élitisme et tout diktat du diplôme, il y parle de la nécessité d’appliquer à l’architecture cette liberté de créer n’importe quelle œuvre et de l’exposer qui existe déjà en peinture et en sculpture. « L’architecture subit dans notre pays la même censure que la peinture en Union soviétique. Les constructions ne sont que de lamentables compromis réalisés par des gens à l’esprit linéaire et agissant avec mauvaise conscience ! Chaque individu doit pouvoir construire, doit construire, afin d’être véritablement responsable des quatre murs entre lesquels il habite ».[1] Hundertwasser affirme préférer le foisonnement architectural sauvage des bidonvilles à l’architecture utile et fonctionnelle. Voilà pourquoi il appelle à supprimer « la jungle de lignes droites qui nous enferment comme dans une prison » et de se révolter contre le fait d’être mis dans les boîtes, « comme des poules et des lapins en cages ». A cet effet, l’architecte, le maçon et l’habitant doivent former une trinité, au même titre que Le Père, Le Fils et le Saint-Esprit. L’homme doit retrouver la fonction critique et créatrice sans laquelle il cesse d’exister en tant qu’être humain.

 

« Dans son appartement, un homme doit avoir la possibilité de se pencher par la fenêtre et de gratter la maçonnerie aussi loin que possible. Il doit avoir le droit de peindre tout en rose, aussi loin qu’il le peut, avec un long pinceau, de sorte qu’on puisse le voir de la rue et penser : l’homme qui habite là ne ressemble pas à ses voisins, au petit bétail discipliné ! Il doit également pouvoir débiter les murs à la scie et entreprendre toutes sortes de transformations même si cela doit détruire l’harmonie architecturale d’un ouvrage d’un maître de l’architecture. Et il doit pouvoir remplir ses pièces de boue et de pâte à modeler ».[2]

 

A ses yeux, la ligne droite est impie et immorale. « Il y a en elle moins d’esprit humain et divin qu’un esprit de fourmi sans cervelle et avide de confort ». C’est pour cette raison que depuis sa première spirale peinte en 1953 dans l’atelier parisien de son ami René Brô il préfère cette forme symbolisant la transformation de la matière inanimée en vie. A la fois infinie et toujours revenant sur elle-même, elle évoque les cercles de croissance d’un arbre ou des couches sédimentaires.

« Je suis convaincu que l'acte de création s’est fait sous forme de spirale.

[…]

La spirale pousse et meurt végétative, c’est-à-dire que les lignes spiroïdales se déroulent tels que les méandres des fleuves et suivent loi de la croissance des plantes. Elle n’oblige en aucune façon le déroulement, mais elle se laisse diriger. En conséquence, il lui est impossible de faire des erreurs."

Mort à bord du Queen Elizabeth 2 le 19 février 2000,  Friedensreich Hundertwasser est enterré dans sa propriété en Nouvelle-Zélande sous un tulipier, sans cercueil, nu et enveloppé dans un "Koruflagge" (drapeau qu'il a conçu pour la Nouvelle-Zélande). Sa vie était inséparable de son art, et tous les deux sont restés en accord avec son credo : « Si quelqu'un rêve seul, ce n'est qu'un rêve. Si plusieurs personnes rêvent ensemble, c'est le début d'une réalité ! »

 
Hundertwasser: Manifeste de la moisissure...

 


 Pour participer au concours de manifeste:




 

 




[1] Antje Kramer, Les grands manifestes de l’art des XIXe et XXe siècles, Beaux Arts éditions, p. 182.
[2] Ibid, p 183.

dimanche 4 octobre 2015

Concours de manifeste 2016

 



Voici une occasion à ne pas manquer pour donner de la résonance à vos écrits et vos engagements !

Organisé sous l’égide du blog Eve & Tribu et en partenariat avec l’association L’Ecriture sous toutes les coutures (les ateliers d’Hélène Marciano) et la société rübimann design, le concours a pour objectif de révéler et de promouvoir les œuvres originales et remarquables composées sous forme de manifeste, ainsi que de récompenser les personnalités faisant preuve d’un engagement moral, social, politique ou artistique.  
 
Les participants doivent envoyer un manifeste inédit et libre de droits, individuel ou collectif, écrit en vers ou en prose, en langue française, parfaitement lisible et répondant aux caractéristiques suivantes : 
  • un regard nouveau, voire polémique ;
  • passion, engagement et grain de folie ; 
  • liberté de ton et d’esprit ;
  • puissance des idées et force de conviction ;
  • style littéraire concis, dense et précis, avec un vrai sens de la formule ;
  • excellence de langue.

vendredi 25 septembre 2015

Lolita a 60 ans !



 
La Société Française Vladimir Nabokov "Les Chercheurs Enchantés" commémore cette année les soixante ans de la publication de Lolita, qui parut en septembre 1955 à Paris chez Olympia Press, maison d'édition de Maurice Girodias. L’événement a débuté hier soir à la Bibliothèque Américaine Paris par le vernissage de l’exposition consacrée à la publication du plus célèbre roman de Nabokov, suivi d’une conférence en langue anglaise donnée par Maurice Couturier. Il se poursuit aujourd’hui avec une journée d’études qui rassemble des spécialistes de Nabokov et des écrivains contemporains. Organisée à l'Université Paris-Ouest Nanterre, elle sera suivie d'une représentation théâtrale de la Compagnie Teatro di Ateneo (Salento, Italie), qui dans sa création intitulée H.H. La confession d'un veuf de race blanche, propose une mise en scène du procès de Humbert Humbert. Cette pièce originale sera jouée en italien et surtitrée en français, au Théâtre Bernard-Marie Koltès (campus de l'Université Paris-Ouest Nanterre).

 


 

 


Dans sa conférence intitulée Nabokov and Paris: A Love-Hate Relationship Maurice Couturier, le traducteur français de Nabokov et l’un des plus grands connaisseurs de son œuvre s’est intéressé à la relation « Je t’aime moi non plus » liant l’auteur de Lolita à la ville de Paris. Dans les années 1930, l’écrivain peine à trouver sa place dans la capitale française entre ses confrères émigrés russes et le monde des lettres françaises qu’il essaie de conquérir. Fasciné par les couchers de soleil vus à travers l’Arc de Triomphe, mais incapable de travailler, absorbé par sa romance avec la poétesse Irina Guadanini et démarchant en vain les éditeurs de la rive gauche, ce Nabokov est bien différent de l’auteur à succès célébré par Gallimard en 1959, mais aussi du personnage excentrique et haut en couleur reçu par Bernard Pivot dans ses Apostrophes en 1975.

 

 
Même si Nabokov avait déjà publié plusieurs romans en langue russe et anglaise avant Lolita, c’est ce dernier livre qui a changé son destin littéraire. Refusé par six éditeurs américains qui craignaient des poursuites judiciaires ou morales, l’histoire de Humbert Humbert est publiée par Olympia Press, à Paris, en 1955. Malgré un catalogue prestigieux (Jean Genet, Samuel Beckett, etc.), la maison d'édition fondée par Maurice Girodias est spécialisée dans l'édition d'œuvres sulfureuses. Ce n’est que trois ans plus tard que le livre sort aux États-Unis, chez Putnam. Il connaît un grand succès, restant pendant 180 jours en tête des meilleures ventes du pays. Lolita est même le second roman, après le best-seller Autant en emporte le vent de Margaret Mitchell (1936), à atteindre le seuil des 100 000 exemplaires vendus en trois semaines. Depuis, Lolita s'est vendu à plus de 15 millions d'exemplaires dans le monde

 

 


 
 
 

Le rôle joué par la censure dans l’affaire Lolita a fait l’objet de la présentation de Julie Loison-Charles de Université Lille 3. Censurée pour des raisons politiques dans son pays natal, l’œuvre de Nabokov l’était aussi à l’Occident, mais plutôt pour des raisons morales. Au début, Nabokov souhaitait même publier son roman sous un pseudonyme craignant pour sa réputation d’enseignant dans une université américaine. Heureusement, il a été soutenu par des confrères de renom comme Graham Greene qui s’est déclaré prêt à aller en prison pour faire publier son livre. La chercheuse a rappelé que Lolita avait été interdit dans plusieurs pays du monde, souvent sous prétexte de protection de la jeunesse (même si le livre n'a jamais été destiné au jeune public), et ce “lolitige”  connaît de nouveaux rebondissements 60 ans plus tard. Devenue un classique de la littérature du XXe siècle, le roman reste néanmoins très controversé dans la Russie d’aujourd’hui où l’Eglise orthodoxe demande son interdiction pour la propagation de la pédophilie.


 

Agnès Edel-Roy, présidente des « Chercheurs enchantés », a relaté l’histoire de la publication française de Lolita (1956-1959) d’après les documents conservés dans les archives des Editions Gallimard. La correspondance de Nabokov avec son éditeur et son premier traducteur Eric Kahane, le frère de Maurice Girodias,  fournit des informations précieuses sur les coulisses de cette édition ainsi que sur la fameuse intransigeance de Nabokov en matière de traduction. De son côté, Nicolas Guerrero, avocat au barreau de Paris, a exploré l’aspect judiciaire de l’univers du roman. Son auteur fait du lecteur une dernière instance, le juge et le juré. Le roman pose des questions sur la responsabilité légale et morale de son héros, mais aussi sur une éventuelle complicité du lecteur.  
 
D’autres interventions ont été consacrées à l’héritage de la nymphette nabokovienne dans la littérature contemporaine et aux aspects multitextuels qui ne se limitent pas aux textes littéraires. Très variées et issues des univers différents, ces études ont un point commun. Elles s’accordent à présenter le chef-d’œuvre de Nabokov comme une réflexion sur la culture au sens très large du terme. Mais aussi comme le triomphe du talent opérant, à la limite de la magie, une transfiguration poétique de la matière brute qui, au départ, ne s’y prête pas forcément. Un sujet graveleux et trash comme porte d’entrée à la “découverte du mythe” (N. Berberova), tel est le vertigineux pari de l’auteur de ce roman  étonnant qui n’a pas encore livré tous ses secrets.