dimanche 21 décembre 2014

Chemin de croix


Affiche du film "Chemin de croix"
 
 
 
« Tout système crée sa propre normalité. Les choses les plus étranges peuvent paraître normales quand vous y êtes habitués ».
 
Dietrich Brüggemann

 

 
La ferveur excessive d’un jeune prêtre volubile, une ambiance studieuse et un vocabulaire quelque peu archaïque… Il faut attendre que tombent les mots tels que « ennemi », « combat », « soldat du Christ » et « sacrifice » pour comprendre qu’une tragédie se prépare derrière ce qui ressemble au premier abord à une banale leçon de catéchisme. Il faut attendre l’apparition d’un appareil photo numérique et l’évocation d’un site internet dans les scènes suivantes pour situer l’action dans notre époque.
 
La force du film Chemin de croix de Dietrich Brüggemann est de proposer une double grille d’interprétation. Maria Göttler, cette adolescente de 14 ans au nom parlant, est-elle une nouvelle sainte qui refait de nos jours le chemin du Christ ou une jeune fille hypersensible poussée vers une mort certaine par des adultes irresponsables ? Deux approches se mêlent de façon inextricable : la logique religieuse implacable dans son jusqu’auboutisme et le regard extérieur extrêmement lucide, critique, parfois sarcastique car ce qui se passe sous nos yeux frôle l’absurde. Un regard semblable à celui d’un médecin légiste qui constate les conséquences mortelles d’une éducation fanatique, qu’elle soit d’ordre religieux ou idéologique. Surtout lorsque cette éducation est amplifiée par les choix radicaux dictés par le maximalisme de la jeunesse. Mais après tout, Maria ne fait que suivre les préceptes qui lui ont été enseignés, en allant même au-delà des attentes du prêtre. A chaque spectateur de trancher, et il faut dire que ce film épuré au générique muet, presque sans musique et aux plans fixes ne facilite pas sa tâche. Paradoxalement, la camera figée apparaît aux yeux du réalisateur comme synonyme de la liberté du spectateur dont le regard n’est pas orienté. Mais elle ne propose non plus aucune échappatoire. Ainsi, le choc des images auxquelles on est exposé est d’une rare violence émotionnelle. On ne sort pas indemne de cette séance, et il semble d’autant plus important de pouvoir en parler aux autres.
 
Même si le film n’a rien d’autobiographique, Dietrich Brüggemann connait parfaitement son sujet pour avoir fréquenté les milieux catholiques intégristes dans son adolescence. La Fraternité Saint-Paul du film qui se veut littéralement plus catholique que le pape a été inspirée par la Fraternité sacerdotale Saint-Pie. Le déroulement du film se fait en quatorze séquences qui ont été réalisées avec une rigueur documentaire, sans aucun artifice de montage et presque en ordre chronologique. Ces quatorze plans-séquences qui correspondent au nombre de stations dans le chemin de croix parcouru par Jésus Christ permettent de comprendre le Calvaire d’une adolescente.

La caméra bouge seulement trois fois au cours des 14 scènes, toujours au moment crucial de l’histoire et de façon quasi symbolique. Le premier mouvement coïncide avec la Confirmation de Maria, le deuxième a lieu au moment de sa mort. Quant au troisième, le plus important, il laisse lui aussi à chacun sa liberté d’interprétation. Le miracle a-t-il eu lieu ? Le sacrifice de la jeune martyre était-il justifié ? Ce ciel désespérément gris, est-il le dernier refuge pour l’âme de Maria ? Ou bien un grand vide qui s’étend au-dessus de la tombe ouverte ?

 

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