mardi 16 septembre 2014

Autonomie fatale: Eva prima Pandora

 
Eve Prima Pandora de Jean Cousin l'Ancien



Eva Prima Pandora est un tableau de l'artiste Jean Cousin l’Ancien aujourd'hui conservé au musée du Louvre. Peinte vers 1549-1550, cette oeuvre révolutionnaire a fait scandale à l'époque. Aujourd'hui encore, elle n'a pas encore livré tous ses secrets. Il s'agit probablement du premier nu de l'histoire de la peinture française et, comme indique Lise Wajeman, cette nudité est d’autant plus troublante qu’elle est posée dans le cadre d’un paysage, et non pas dans un espace intime, comme c’est le cas notamment pour les tableaux maniéristes de l’école de Fontainebleau. D’autre part, le titre associant les deux femmes originelles a souvent été perçu comme blasphématoire : en effet, le rapprochement des deux figures sorties de leur contexte ne vient pas consacrer la victoire du sacré sur le profane et attester la vérité du texte biblique. Il s’agit plutôt de cautionner la double origine de la femme en tant que créature dangereuse sinon maléfique.

Ce double symbolisme mythologique et religieux du tableau est d’abord indiqué par les attributs d’Eve :

        le serpent de la tentation enroulé autour du bras ;

        la branche de pommier, référence à la pomme du péché originel.

 
Mais la boîte et le profil du visage néo-grec renvoient au mythe de Pandore.

 La nudité de la femme contraste non seulement avec le paysage mais aussi avec un élément assez inattendu qui n’est pas un attribut fréquent ni d’Eve ni de Pandore : le crâne véhiculant l’idée du triomphe de la mort qui fait partie de l’héritage de la première femme.

Le motif de la séduction fatale que déploie Eva-Pandora associée à un serpent se retrouve aussi dans les représentations de Cléopâtre au début du XVIe siècle. Ce rapprochement iconographique avec la légendaire reine d’Egypte et ses charmes pernicieux confine au tableau de Cousin son aura romanesque. Enfin, comme le note Lise Wajeman, sur le tableau de Cousin, Eve-Pandora tient le rameau de pommier comme une plume, et le linge blanc prend l’aspect du papier ou d’un livre. Ce n’est donc plus seulement la séduction du corps qui est en jeu, mais également la tentation de la parole. Ainsi, le mélange subtil de sensualité et de spiritualité distingue ce tableau des autres classiques du genre, comme Venus endormie de Giorgione et Vénus d’Urbin de Titien. Il est tentant aujourd’hui de l’interpréter à la lumière des idées d’Erich Fromm qui considère le péché originel comme notre rupture avec la condition animale et l’accès à l’humanité. De ce point de vue, la découverte de la parole (orale par le biais du serpent, puis écrite) par Eva-Pandora apparaît comme un réveil, une prise de conscience, un pas de plus sur le chemin de l’autonomie associée à la connaissance du bien et du mal – cette connaissance qui nous permet de devenir des individus à part entière.


A lire :

Erich Fromm, « La désobéissance, problème psychologique et moral », De la désobéissance et autres essais, Paris, Robert Laffont, 1983,

 Lise Wajeman, « Création de la femme, invention de la peinture. Eva prima Pandora, un tableau de Jean Cousin », Jean-Claude Schmitt (Dir.), Ève & Pandora, La création de la première femme, Gallimard, Paris, 2001, p. 211-232.

 


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